Les premières élections législatives mongoles – depuis la réforme de mai 2023 faisant passer le parlement monocaméral (Grand Khoural) de 76 à 126 sièges – se sont tenues le 28 juin. Selon le nouveau code électoral 78 sièges sont soumis à un scrutin majoritaire. Les 48 sièges restants sont désignés à la proportionnelle. Le système politique mongol est semi-présidentiel avec un Premier ministre et un Président élus séparément tous les quatre ans. Le Premier ministre détient le pouvoir administratif et coordonne le travail ministériel tandis que le Président se concentre sur les questions de défense, les relations étrangères et sur la nomination de responsables nationaux, comme les juges. Le mandat du Président actuel, Ukhnaagiin Khürelsükh, se terminera en juin 2027.
Un parti majoritaire affaibli
Le décompte provisoire présenté dès le 29 juin par la commission électorale générale montre que le Parti du peuple mongol (MAN pour Mongol Ardin Nam) du Premier ministre Luvsannamsrain Oyun-Erdene garde de justesse la majorité absolue avec 68 sièges. Avec 35,01% des voix, le MAN voit toutefois sa majorité fortement réduite par rapport aux précédentes élections de 2020 où il avait obtenu 44,93% des voix. Descendant de l’ancien Parti révolutionnaire du peuple mongol fondé en 1921, le MAN domine largement la scène politique mongole depuis la démocratisation du pays entamée au début des années 1990. Il n’a ainsi été que deux fois dans l’opposition de 1996 à 2000 et de 2012 à 2016.
Avec 30,14% des voix, la principale formation d’opposition, le Parti démocrate a obtenu 42 sièges, tandis que le parti anticorruption de centre-droit, HUN, a réussi à obtenir huit sièges avec 10,38% des voix. Le parti Coalition nationale et le parti vert Volonté civile ont chacun obtenu quatre sièges.
Pour répondre à ce qu’il considère comme un revers électoral, le Premier ministre a lancé une série de discussions avec les deux principaux partis d’opposition pour tenter de former un gouvernement de coalition. En effet, en l’absence de super-majorité, le gouvernement risque de voir ses marges de manœuvres limitées, notamment en matière de réformes fiscale ou institutionnelle dont certaines nécessitent une majorité des deux tiers. Le fait que le Président appartienne au MAN devrait toutefois limiter le risque de crise entre les deux branches de l’exécutif.
Une démocratie résiliente
Depuis sa transition d’un parti unique vers un système démocratique, entamée il y a plus de trente ans, la Mongolie a connu neuf élections législatives. Bien que le système ne soit pas sans défaut, il a permis des transitions pacifiques de pouvoir, une vraie compétition multipartite et une hausse régulière du taux de représentation des femmes. Aux élections de juin, elles représentaient 39% de l’ensemble des candidatures et un quart du nouveau parlement. Cela est d’autant plus remarquable que la Mongolie fait figure d’exception dans une région marquée par l’autoritarisme comme en Russie ou par le maintien d’un parti unique comme en Chine.
Bien qu’elle fasse preuve de dynamisme et de résilience, la démocratie mongole doit faire face à une série de défis. Le taux de participations aux élections locales, parlementaires et présidentielles baisse à chaque scrutin. Cela a encore été une fois le cas. Le taux a baissé de 3,35% par rapport aux élections de 2020 pour tomber à 69,4% (contre environ 96% en 1992). Cette tendance correspond à une méfiance croissante envers les gouvernements et les élus que l’on peut observer dans la plupart des autres démocraties dans le monde, mais s’explique aussi par une certaine instabilité du système électoral qui donne parfois le sentiment d’une certaine manipulation des résultats par la classe politique dominante. Le système de vote en bloc pratiqué les années précédentes a clairement été favorable aux grands partis et a laissé peu de place aux autres formations politiques. Cette année, avec seulement 17 jours, la campagne électorale a également favorisé les partis déjà bien établis.
Avec une population jeune – environ 59% de la population à moins de 30 ans et 27% moins de 14 ans – et un système électoral plus ouvert, les choses semblent se mettre en place pour un renouvellement progressif de la classe politique et une prise en compte plus importante des aspirations de la jeunesse. La campagne électorale a notamment été portée par un fort mouvement de contestation contre la corruption, considérée par beaucoup comme endémique, contre un coût de la vie trop élevé et contre l’accaparement par une élite fortunée de l’essentiel des bénéfices liés à l’essor du secteur minier. Selon la Banque asiatique de développement (BAD) plus de 27% des Mongols vivaient sous le seuil de pauvreté en 2022.
Trouver des « troisièmes voisins »
Le pays reste structurellement amarré à la Chine et à la Russie pour son commerce et les transports. L’économie dépend de ses exportations de minerais (charbon et cuivre) vers la Chine. Cela représente une opportunité à court terme mais aussi un risque sur le long terme car si la Chine a fortement accru ses importations de charbon au cours de ses dernières années, elle prévoit de les réduire sensiblement dans les décennies à venir dans la cadre de sa transition énergétique. Avec une croissance économique plus faible, la demande d’exportations mongole devrait également ralentir en Chine. Parallèlement, la Mongolie reste fortement dépendante de la Russie pour ses importations de pétrole.
Cette situation de double dépendance limite les marges de manœuvres mongoles en termes de politique étrangère. Le pays évite de prendre des positions fortes sur les grands enjeux internationaux comme la guerre en Ukraine ou la question de Taiwan. Cependant, pour limiter l’influence ses grands voisins et se ménager des marges de manœuvres, la Mongolie s’est lancée depuis plusieurs années dans une politique de diversification de ses relations économiques et politiques dans le cadre de la stratégie dite du « troisième voisin ». Cela a permis au pays de se rapprocher du Japon, mais aussi de la Corée du Sud et des Etats-Unis. Dans une moindre mesure, le pays s’est également rapproché de l’Australie, de l’Europe et de l’Inde. La Mongolie aussi est un important contributeur aux opérations de maintien de la paix menées par les Nations Unies. Plus de 900 soldats et policiers mongols sont actuellement déployés en République centrafricaine, à Chypre, en République démocratique du Congo, au Liban, au Sud Soudan, dans le Sahara occidental et au Yémen. De même, la Mongolie est un des rares pays en dehors du cercle euro-atlantique à s’être engagé dans un partenariat de coopération avec l’OTAN, notamment en matière d’interopérabilité et de formation.
Du renouveau dans la continuité
Même si le Premier ministre arrive à constituer un gouvernement de coalition, son parti restera majoritaire au parlement. Cela laisse présager une certaine continuité avec la politique menée au cours de ces huit dernières années. Malgré de fortes critiques liées à la gestion de la crise de la Covid-19, de la corruption (le pays était classé à la 131e place en 2023 dans l’indice de perception de la corruption publié par Transparency International) ou du coût de la vie, le MAN a réussi à se maintenir au pouvoir en partie grâce à l’essor économique que connaît le pays depuis plusieurs années. Cette croissance, estimée par la BAD à +4,1% en 2024 et à +6% en 2025 (7% en 2023) est largement portée par les exportations minières et le développement des infrastructures.
La hausse régulière des exportations minières, plus particulièrement de charbon (58% des exportations en 2023), permet au pays de bénéficier d’une balance des paiements favorable et lui ouvre l’accès aux marchés internationaux de capitaux. La Mongolie se positionne également comme un fournisseur émergent de minéraux critiques, ce qui lui permet d’attirer d’importants investissements étrangers. Le pays a ainsi signé un protocole d’accord estimé à 1,6 milliards de dollars avec la société française Orano en octobre 2023 pour les droits de développement et d’exploitation de la mine d’uranium de Zuuvch-Ovoo, dont la production est prévue en 2028. La signature finale de l’accord a été retardée par les autorités mongoles en raison du contexte électoral mais aussi en raison de préoccupations concernant la protection des ressources stratégiques. Pour les autorités, un travail de communication en direction de la population est également nécessaire d’autant plus que les principaux partis d’opposition se montrent moins favorables en ce qui concerne le développement de l’industrie minière. Nonobstant les difficultés et les pressions rencontrées, la signature du contrat pourrait se concrétiser après la constitution du nouveau gouvernement mongol. Dans le contexte actuel, les points d’interrogations viennent tout autant de la situation intérieure en France, où là aussi des changements sont attendus.