Rwanda: Double anniversaire: 30ème anniversaire du génocide et
 30 ans de pouvoir de Paul Kagamé

19.07.2024 - Éditorial

L’élection présidentielle au Rwanda s’est transformée en plébiscite pour Paul Kagamé avec 99,15% des suffrages exprimés en sa faveur, selon les résultats disponibles. Un score sans surprise, gage de stabilité selon les autorités mais preuve pour les détracteurs que la démocratie ne progresse pas.


Paul Kagamé, président depuis l’an 2000, est toujours élu à plus de 90 % des voix

En trente ans, le Rwanda a énormément changé : il s’est développé sur le plan économique, et les Rwandais ont reconstruit ce pays considéré autrefois comme « la Suisse de l’Afrique ». La vision de Paul Kagamé a été déterminante dans cette évolution positive. Il a transformé son pays en une puissance militaire mais aussi économique. « La croissance du PIB réel s’est stabilisée à 8,2 % en 2022 et 2023, dynamisée par l’expansion de l’industrie et des services du côté de l’offre et par les dépenses du secteur public du côté de la demande. La croissance du PIB par habitant s’est également stabilisée à 5,9 % en 2022 et 2023 »[1], affirme ainsi la Banque Africaine de Développement (BAD). Le Rwanda est l’un des pays les plus stables, les moins corrompus et les plus sûrs d’Afrique. Les Rwandais n’ont d’ailleurs jamais été aussi bien éduqués, aussi libres d’entreprendre et de se déplacer. La seule restriction concerne la politique : il ne fait pas bon d’être opposant au Rwanda que ce soit au président Kagamé ou à son parti, le FPR (Front patriotique rwandais, issu de l’ancienne rébellion). Pour l’instant, aucune alternance n’est envisageable au Rwanda. Paul Kagamé, né le 23 octobre 1957 donc encore jeune, l’a d’ailleurs dit lui-même, il pourra encore être candidat à la présidence au cours des 25 prochaines années. Selon la Constitution, il peut diriger le pays au moins jusqu’en 2034.

Les cicatrices du génocide de 1994 influencent encore le paysage politique et social du pays, mais le chemin du Rwanda vers la réconciliation – officiellement il n’y a plus ni Hutu, ni Tutsi au Rwanda – et le progrès se poursuit, avec des débats en cours, certes très encadrés, sur les droits de l’Homme, la gouvernance et l’équilibre entre croissance économique, sécurité et liberté politique. Alors que l’influence internationale du Rwanda est grande, notamment sur le plan sécuritaire, mais aussi sur le plan d’un modèle de développement africain affranchi, en apparence, de l’influence et de l’aide extérieure, la question de la guerre dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) reste un problème sensible. Toutefois, les temps sont en train de changer.


Aujourd’hui, la majorité de la population rwandaise n’a pas vécu le génocide

J’ai vécu de 1998 à 2001 au Rwanda alors que j’étais correspondant de l’AFP à Kigali en charge de la région des Grands Lacs. Juste après le génocide, l’ambiance était à la tristesse et au traumatisme. On découvrait régulièrement de nouvelles fosses communes dont l’odeur épouvantable se diffusait de colline en colline pour rappeler à tous qu’un drame avait eu lieu. Les prisons étaient pleines à craquer de personnes accusées de participation au génocide habillées de pyjamas. Le pays manquait de tout. Le génocide et l’exode vers le Zaïre des génocidaires et de leur famille avaient vidé le pays de ses habitants. J’y suis retourné en octobre 2023 et il m’a été impossible de retrouver la maison où j’avais vécu 25 ans plus tôt, tellement la capitale s’est transformée, modernisée et étendue. De nombreux immeubles ont été bâtis, les rues sont goudronnées et propres. Les Rwandais travaillent énormément et dès l’aube, les rues se remplissent d’employés de bureau, de portefaix, de vendeurs de rue et de taxis-motos que l’on peut payer avec son téléphone portable. N’importe qui peut, en théorie, créer une société en moins de deux jours. La justice traditionnelle Gaçaça a permis de vider les prisons. Aujourd’hui dans les collines, les victimes vivent avec leurs anciens tortionnaires. Officiellement, la réconciliation est effective et il est vrai qu’il n’y a plus de violences. Les Rwandais sont disciplinés.

Pourtant la question demeure de savoir pendant encore combien de temps le FPR, qui tire  en grande partie sa légitimité du génocide, pourra rester la valeur politique dominante. En effet, aujourd’hui, 75% de la population rwandaise a moins de 35 ans, parmi lesquels 75% a moins de 25 ans, ce qui signifie que la grande majorité de la population est née après le génocide de 1994. Ce fait a un impact sur la politique du pays. L’éducation et la création d’emplois sont essentielles à la stratégie de Paul Kagamé. Mais d’un autre côté, on peut penser que sa légitimité de leader – le seul que la majorité de la population ait jamais connu – s’érode aux yeux de cette jeunesse qui n’a pas connu le génocide et aspire à d’autres choses.

Une puissance diplomatique et militaire

L’un des grands succès de Paul Kagamé est aussi d’avoir fait de son pays une puissance régionale diplomatique, mais aussi militaire. Il a créé un modèle qui séduit une partie de la jeunesse africaine par son indépendance et sa fermeté. Ils apprécient aussi que le Rwanda n’exige plus de visas pour les Africains souhaitant visiter le pays, ce qui pour eux constitue une véritable preuve de panafricanisme sincère. L’image du Rwanda et de Kagamé reste très bonne, tant en Afrique qu’en Occident. Paul Kagamé, après sa présidence de l’Union africaine (UA), a été nommé pour diriger le processus de réformes institutionnelles de l’organisation continentale. Il a choisi un comité panafricain d’experts pour examiner et soumettre des propositions afin de concrétiser la vision de l’Agenda 2063 qui vise à mettre en œuvre des programmes de fort impact en termes de croissance et de développement.

Les interventions militaires efficaces du Rwanda en République Centrafricaine (RCA) et au Mozambique ont été appréciées par les alliés du Rwanda. De plus, le Rwanda est l’un des principaux contributeurs de troupes aux différentes missions de maintien de la paix de l’ONU en Afrique. Surfant sur la très bonne réputation de l’armée rwandaise, il développe également une stratégie de partenariats militaires et sécuritaires avec différents pays africains dont entre autres la RCA, la Zambie, le Tchad et le Congo Brazzaville. Cette stratégie sert aussi les intérêts économiques du pays qui s’implique chez ses alliés dans différents secteurs comme les mines ou l’agroalimentaire avec des sociétés rattachées à l’Etat voire même au Front Patriotique Rwandais (FPR) que dirige Paul Kagamé. Un mélange des genres discutable mais efficace pour le Rwanda et son élite dirigeante.


Tensions avec la RDC

Dans ce tableau relativement positif du Rwanda, si l’on excepte la situation politique, subsistent les tensions avec le grand voisin congolais, géant aux pieds d’argile, qui durent depuis presque trente ans aussi. Le Rwanda a en effet une politique interventionniste en RDC depuis longtemps comme en témoigne le parcours du général James Kabarebe, proche conseiller du président Kagamé pendant de nombreuses années, ancien Chef d’Etat-Major des Armées (CEMA) et ministre de la Défense (2010-2018). Les médias rwandais ont annoncé en août 2023 que ce général quatre étoiles figurait parmi la douzaine de généraux et les 83 officiers supérieurs mis à la retraite. Moins d’un mois après, Kabarebe a été nommé ministre d’État chargé de la Coopération régionale, alors que la question cruciale qui occupe les pays de la région est bien la situation en RDC.

En juin 2023, le nom du général Kabarebe était cité dans le rapport des experts des Nations Unies sur la RDC comme l’un des officiers rwandais impliqués dans les opérations militaires dans la province congolaise du Nord-Kivu ces derniers mois. Il est vrai que Kabarebe connaît très bien la région : il s’est allié en 1996 à Laurent-Désiré Kabila lors de la première guerre en RDC pour faire tomber le président Mobutu, jusqu’à devenir CEMA de l’armée congolaise en 1997. En 1998, il fut l’un des cerveaux de la création du groupe rebelle Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), luttant contre ce même Kabila.

Le rapport de l’ONU précisait que ces opérations menées selon lui par le Rwanda et particulièrement par Kabarebe, visent à « renforcer le M-23 en fournissant des troupes et du matériel, et à les utiliser pour assurer le contrôle des sites miniers, acquérir une influence politique en RDC et décimer les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR)», un groupe rebelle rwandais hutu initialement formé par d’anciens génocidaires. Kigali a toujours rejeté toute accusation de lien avec le M-23. Paul-Simon Handy, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS), résumait récemment : « Le Rwanda réfléchit stratégiquement sa politique étrangère. C’est un pays enclavé dans une région où il entretient des relations instables avec ses voisins.

Il s’appuie donc sur son savoir-faire militaire et sa capacité à déployer des services pour nouer des partenariats et, par la suite, créer des revenus hors de ses frontières ». Il ajoute que « les relations sont désormais tendues avec Kinshasa. Mais d’un autre côté, il est important de comprendre la position du Rwanda à l’égard de la question des Rwandophones dans l’Est du Congo. La menace des extrémistes hutus contre le Rwanda est réelle, et ici personne ne veut voir de nouveau des massacres. Un autre enjeu est la part des ressources des Kivu » que convoite, voire exploite, Kigali, expliquait-il en rappelant qu’avant la colonisation, les Kivu et le Masisi faisaient partie du Rwanda.

La question rwandophone en RDC reste le principal enjeu pour la stabilité de l’ensemble de la région, comme c’est le cas depuis 30 ans.

[1] https://www.afdb.org/fr/countries/east-africa/rwanda

Emmanuel Goujon
Gérant de la société de conseils Approche Globale Afrique (AGA) qu’il a créée en 2011, Emmanuel GOUJON travaille depuis plus de 25 ans sur l’Afrique subsaharienne et notamment sur l’Éthiopie. Il a été journaliste et correspondant de guerre pour plusieurs médias, dont l’Agence France-Presse, basé pendant 13 ans en Afrique. Il est aujourd’hui spécialiste de la veille pays, de la prévention/gestion de crise et des relations publiques.