Japon : Un nouveau gouvernement pour préparer les élections

04.10.2024 - Regard d'expert

Le 27 septembre 2024, au terme d’une campagne interne de 15 jours, le Parti libéral-démocrate (PLD) japonais a nommé à sa tête Shigeru Ishiba, un vétéran de la politique, ancien ministre de la Défense (2007-2008) et ancien ministre de l’Agriculture (2008-2009). Ishiba a également été ministre d’État chargé des zones spéciales de stratégie nationale de 2014 à 2017 sous Shinzo Abe dont il a pourtant été un ferme opposant au sein du parti.

Son investiture au poste de Premier ministre est prévue pour le 1er octobre. Il succède à Fumio Kishida, en poste depuis octobre 2021. A la suite d’une série de scandales au sein du parti et avec une côte popularité fluctuant entre 20 et 30% au mieux, Kishida n’était pas en mesure de conduire la campagne pour les prochaines élections législatives prévues en octobre 2025. Il a donc logiquement annoncé sa volonté de quitter la direction du parti le 14 août, veille de la fête des morts, et par ricochet son poste de Premier ministre.

Une élection surprise

Sitôt le retrait de Kishida annoncé, les couteaux se sont aiguisés au sein du PLD. Neuf candidats ont pu se présenter, le nombre le plus élevé jamais enregistré pour la présidence du parti. Outre les ambitions personnelles, ce nombre élevé de candidats illustre la perte d’influence des principales factions et augure une possible recomposition des forces au sein du parti.

Ishiba n’en était pas à sa première tentative. Ce spécialiste des questions de défense nourrissait l’ambition de devenir Premier ministre de longue date. Il s’est ainsi  présenté à plusieurs reprises et sans succès à la présidence du parti en 2012, 2017 et en 2020. Loin d’être le favori et n’ayant pas le soutien des principales factions du parti, l’élection d’Ishiba est apparue comme surprenante. Le ralliement d’une partie de la faction de Taro Aso lui a sans doute permis de remporter l’élection devant Takaichi Sanae qui était pourtant arrivée en tête du premier tour. Sa côte de popularité au sein de la base du parti et dans le monde rural l’a également aidé à faire la différence dans la perspective de la campagne pour les prochaines élections législatives.

Relancer la consommation

Un des principaux objectifs d’Ishiba est de revitaliser les villes moyennes qui voient régulièrement leur population décliner. Il a affirmé qu’une de ses priorités sera de soutenir les secteurs de l’agriculture, de la pêche, des forêts et des services ruraux pour relancer les activités économiques dans les zones rurales et les petites villes. Bien qu’il ne soit pas opposé à l’énergie nucléaire, il propose d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables et de rééquilibrer le mix énergétique du pays en leur faveur.

S’inscrivant dans la lignée de son prédécesseur, Ishiba veut relancer la consommation intérieure. Il espère voir le salaire minimum horaire passer à 1 500 yens (~9.45 euros) d’ici la fin de la décennie contre 1 054 aujourd’hui (~6.6 euros). Il devrait pour cela s’appuyer sur le plan économique et budgétaire de long terme initié par Kishida en juin dernier qui avait l’objectif de  mettre un terme à deux décennies de baisse des prix et de stagnation économique. Toutefois, des questions restent en suspens comme le renouvellement des subventions pour le prix du gaz, de l’essence et de l’électricité qui arriveront à échéance fin 2024. Si ces subventions ont permis d’éviter une trop forte détérioration économique, elles ont aussi contribué à perturber les prix du marché et à ralentir le mouvement vers la transition énergétique souhaitée par le pays.

Ishiba veut améliorer la productivité du pays et relancer l’investissement pour atteindre de manière durable une croissance annuelle de plus de 1% tout en rétablissant un certain équilibre budgétaire. Le niveau de la dette publique japonaise avoisine les 250% du produit intérieur brut.

Elle s’élève désormais à plus de 66 000 euros par habitant. Si ce niveau élevé est inquiétant, le Japon connaît également un taux d’épargne élevé qui lui permet de ne pas faire financer sa dette à l’extérieur. Cette dernière repose essentiellement sur un financement national.

Il souhaite également maintenir les taux d’intérêts à un bas niveau afin de soutenir la reprise économique et l’investissement. Cela pourrait être source de potentiels désaccords avec la Banque centrale du Japon qui s’est lancée dans une politique progressive de hausse des taux. Il devrait toutefois se montrer respectueux de l’indépendance de cette dernière. S’il affiche un certain sérieux en matière de discipline fiscale, il devrait toutefois proposer des hausses d’impôts ciblées, notamment pour les grandes entreprises. L’objectif est en partie de couvrir la hausse des dépenses en matière de défense (un peu plus de 50 milliards d’euros en 2024) qui doivent passer de 1.6% du PIB à 2% en 2027.

Priorité à la défense

Pendant la campagne électorale Ishiba s’est dit favorable à la création d’une structure similaire à l’Otan pour l’Asie. Si cette suggestion a été accueillie avec scepticisme par les États-Unis, elle contribue à faire avancer le débat sur l’institutionnalisation des alliances et des différents partenariats de défense américains en Asie. S’inscrivant dans les pas de son prédécesseur, Shigeru souhaite poursuivre le rapprochement entamé avec la Corée du Sud, sujet clef à la fois pour faire face à la menace nord-coréenne, pour répondre aux ambitions chinoises et surtout pour satisfaire la volonté américaine d’encourager une meilleure coordination entre ses alliés. Concernant les États-Unis, Ishiba dit vouloir renforcer l’alliance militaire avec ces derniers mais souhaite un rééquilibrage des responsabilités en faveur du Japon. Il est même allé jusqu’à suggérer de stationner des troupes japonaises dans l’île de Guam.

Si la création d’une Otan asiatique semble précipitée, le débat soulevé par Ishiba s’inscrit dans la volonté affichée par les États-Unis de rapprocher les enjeux de sécurité de l’axe Euro-atlantique à ceux de l’Indopacifique. Les États-Unis cherchent à développer un entrelacs de partenariats, d’alliances et de coopérations renforcées avec des pays et des institutions partageant un socle commun de valeurs, notamment une volonté affichée de préserver un ordre international mondial fondé sur des règles de droit. Pour ce faire, il encourage avec vigueur un rapprochement entre l’Otan et ses quatre partenaires de la zone Indopacifique (IP-4 : Japon, Corée du Sud, Australie et Nouvelle-Zélande). La formalisation et l’élévation des relations entre l’Otan et les IP-4 pourrait prendre la forme d’un futur forum atlanto-pacifique sur le modèle du Conseil de partenariat euro-atlantique ou du Dialogue méditerranéen. Quelle que soit la forme que prendra l’institutionnalisation des alliances américaines dans la région, il ne fait aucun doute que le Japon jouera un rôle moteur.

En attendant les élections

Le gouvernement Ishiba durera au maximum un an. Les prochaines élections législatives doivent se tenir au plus tard en octobre 2025. Toutefois, pour préserver ses chances de rester au pouvoir plus longtemps, Ishiba pourrait appeler à l’organisation d’élections anticipées très rapidement. Plus vite des élections seront organisées et plus ses chances de l’emporter seront grandes. Il a d’ailleurs confirmé le 29 septembre dans une émission de la NHK, qu’il pourrait dissoudre la Chambre basse et organiser des élections peu de temps après que sa nomination au poste de Premier ministre soit entérinée par la Diète. Si cela se confirme, des élections pourraient ainsi se tenir avant la fin octobre. La question est de savoir si le parti continuera de le soutenir une fois les élections remportées ou s’il préféra le pousser doucement vers la sortie pour mettre en place un candidat soutenu par les anciennes factions. Rien n’est joué ! Ishiba est connu pour être un conciliateur. Il aura besoin de mettre rapidement à profit ses talents de négociateur pour être plus qu’un Premier ministre de transition et inscrire son action dans la durée.

Arnaud Leveau
Arnaud Leveau est membre du Comité d’orientation d’Asia Centre. Il a plus de 25 ans d'expérience pratique dans la région Indo/Asie-Pacifique aussi bien dans l'industrie, les affaires gouvernementales que la recherche en relations internationales. Titulaire d'un doctorat en science politique de l’École normale supérieure de Lyon, il est l'auteur de nombreuses publications sur la péninsule coréenne, la Thaïlande, l'Asie du Sud-Est et les questions de sécurité dans la région Indopacifique. Il enseigne également le monde des affaires en Asie à l’université Paris Dauphine PSL.