L’élection de Claudia Sheinbaum à la présidence du Mexique en juin 2024 constitue une étape capitale dans l’histoire politique du pays. Première femme à occuper cette fonction, elle hérite d’un pouvoir inédit grâce à la majorité qualifiée obtenue par son parti, MORENA, au Congrès. Ce contexte offre à Sheinbaum une liberté d’action unique pour réformer le Mexique en profondeur. Cependant, cette liberté comporte également son lot de risques. Le mandat de Claudia Sheinbaum s’annonce donc à la fois prometteur et périlleux, tant les attentes sont nombreuses et les enjeux, complexes.
Politique intérieure : Les réformes, entre audace et incertitude
En matière de politique intérieure, le premier défi de Sheinbaum réside dans la réforme constitutionnelle du système judiciaire. Votée en septembre 2024, elle instaure l’élection des juges par un vote populaire. Une innovation dans l’histoire juridique du Mexique, qui suscite à la fois l’enthousiasme et l’inquiétude. Si cette mesure peut apparaître comme une sorte de démocratisation du pouvoir judiciaire, elle pose néanmoins la question de l’indépendance des juges et de la sécurité juridique. Pour Sheinbaum, la difficulté sera de rassurer les investisseurs, tout en préservant la légitimité des réformes engagées.
Parallèlement, la lutte contre la violence des cartels demeure un enjeu prioritaire. Ce fléau, qui a fait plus de 156 000 victimes depuis 2018, gangrène la société mexicaine et fragilise l’autorité de l’État. Sheinbaum a fait de la Garde nationale l’une de ses armes principales dans cette bataille. Néanmoins, l’augmentation du rôle des forces armées dans les affaires de sécurité publique soulève des interrogations sur le respect des droits humains, et sur le risque d’une militarisation excessive de la société civile.
Enfin, Claudia Sheinbaum devra affirmer son autorité face à l’influence persistante de son prédécesseur, Andrés Manuel López Obrador. Bien qu’elle ait promis de gouverner en toute indépendance, le poids de l’héritage politique de López Obrador se fait sentir. La capacité de Sheinbaum à trouver un équilibre entre continuité et renouvellement sera cruciale pour la stabilité de son mandat.
Politique extérieure : Un équilibre à maintenir avec les États-Unis
Sur la scène internationale, les relations entre le Mexique et les États-Unis représenteront un axe stratégique fondamental de la présidence de Claudia Sheinbaum. Les liens économiques entre les deux pays, illustrés par des échanges commerciaux atteignant 779 milliards de dollars en 2023, sont d’une importance cruciale pour le développement du Mexique qui est devenu le premier partenaire commercial des États- Unis devant la Chine. Le processus de relocalisation industrielle américaine, ou « nearshoring », offre des perspectives intéressantes pour attirer des investissements vers le Mexique. Cependant, Sheinbaum devra naviguer avec précaution pour ne pas perturber cet équilibre, notamment lors de la révision du traité de libre échange T-MEC prévue en 2026, un moment clé pour le secteur automobile et agricole mexicain.
Un autre défi diplomatique important réside dans la lutte contre le trafic de fentanyl, source de tensions croissantes entre le Mexique et les États-Unis. La coopération bilatérale dans ce domaine sera déterminante pour éviter une détérioration des relations diplomatiques.
Enfin, le Mexique, en tant que pays de transit et d’origine des flux migratoires vers les États-Unis, continuera de jouer un rôle majeur dans les discussions migratoires. Sheinbaum devra conjuguer respect des droits de l’homme et efficacité dans la gestion de ce dossier complexe.
Économie : Un pari sur l’innovation technologique et sur le développement régional
Sur le plan économique, Claudia Sheinbaum pourrait miser sur l’innovation numérique et l’économie digitale, pour stimuler la croissance et réduire les inégalités. L’intention serait ambitieuse et pertinente dans le contexte global actuel, où la digitalisation accélérée offre de nouvelles opportunités de développement. Le Mexique, en tant que voisin des États-Unis, dispose de certains atouts pour aspirer à devenir un acteur majeur dans ce domaine.
Cependant, la mise en œuvre de ces politiques technologiques nécessitera des investissements importants en matière de formation, en particulier pour les jeunes générations. En parallèle, Sheinbaum devra rassurer les investisseurs étrangers en garantissant un climat juridique stable. Le développement de l’intelligence artificielle pourrait également contribuer à la transition énergétique du Mexique, en facilitant l’optimisation des infrastructures énergétiques, un autre domaine où Sheinbaum souhaite apporter des réformes substantielles, compte tenu de son expertise et de son intérêt pour la préservation de l’environnement.
Par ailleurs, avec la volonté de rééquilibrer le développement régional en s’attaquant aux disparités géographiques qui persistent depuis des décennies, Claudia Sheinbaum s’inscrit dans une logique de continuité en poursuivant avec détermination le développement du « corredor interoceánico », un projet stratégique visant à dynamiser le sud du Mexique en reliant l’Atlantique au Pacifique avec un système ferroviaire et des zones industrielles. Pour Sheinbaum, il ne s’agit pas seulement de moderniser les infrastructures, mais également de stimuler l’emploi et l’investissement dans une région trop longtemps négligée. Le projet se veut une réponse aux inégalités socio- économiques, tout en renforçant la position du Mexique dans les échanges commerciaux internationaux.
Société : Moderniser en préservant la cohésion sociale
Enfin, sur le plan social, Sheinbaum hérite d’un pays profondément marqué par les inégalités et les fractures sociales. Le développement des nouvelles technologies digitales pourrait constituer une opportunité pour réduire ces disparités, notamment en offrant de nouvelles perspectives aux jeunes et aux femmes sur le marché du travail.
Toutefois, pour que ces réformes portent leurs fruits, il sera essentiel de mettre en place des politiques inclusives, capables de toucher les populations les plus vulnérables, notamment celles vivant dans les régions les plus marginalisées.
Le système de santé, l’éducation et la protection sociale, affaiblis par les effets de la pandémie et les décisions politiques antérieures, devront être modernisés afin de répondre aux besoins d’une population en croissance. Cette modernisation ne pourra se faire sans un effort considérable en matière de financement, d’investissement public et de réformes institutionnelles.
Conclusion : Entre espoirs et responsabilités
Claudia Sheinbaum se trouve face à un défi historique. Première femme présidente du Mexique, elle dispose d’un pouvoir exceptionnel, grâce à la majorité qualifiée de son parti au Congrès. Cette concentration de pouvoir lui offre une opportunité unique de réformer en profondeur le pays, notamment en matière d’innovation technologique et de justice sociale. Mais ce pouvoir s’accompagne également d’une responsabilité accrue. Si Sheinbaum échoue à répondre aux défis colossaux qui se dressent devant elle, elle n’aura que peu d’excuses.
L’histoire pourrait se souvenir d’elle comme la présidente ayant ouvert une nouvelle ère pour le Mexique ou, au contraire, comme celle qui n’a pas su saisir sa chance. L’enjeu est considérable, tant pour le pays que pour elle-même.