Le dilemme de l’Arabie saoudite face à la guerre entre Israël et le Hezbollah au Liban
Riyad, qui n’a jamais caché son hostilité à l’égard du Hezbollah, cherche à préserver son accord avec l’Iran tout en se projetant d’ores et déjà dans la phase à venir.
Depuis l’intensification de la guerre au Liban, l’Arabie saoudite redouble d’efforts sur le plan diplomatique pour tenter, avec ses partenaires internationaux, de parvenir à un cessez-le-feu qui éviterait le glissement de la région vers un conflit généralisé. En attendant, Riyad observe discrètement l’affaiblissement du Hezbollah – qui n’est pas sans lui déplaire – et fait preuve de retenue du fait de la complexité des enjeux régionaux et internes libanais.
Contrainte à ce jeu d’équilibre, l’Arabie soutient d’un côté la cause palestinienne et a mis un frein à la normalisation avec Israël, une démarche qui était pourtant bien avancée à la veille de l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023 ; et elle souhaite en outre arracher le Liban à l’emprise iranienne et le faire revenir dans le giron arabe. En même temps , Riyad – qui a opéré une ouverture en direction de l’Iran en mars 2023 sous l’égide de la Chine – cherche à préserver l’accord destiné à mettre un terme à la rivalité diplomatique entre les deux nations, sans pour autant camoufler son animosité historique à l’égard du Hezbollah (que le roi Abdallah qualifiait jadis de « parti du Diable » (Hezb eshitan) : « Notre position est connue et reste inchangée : nous considérons ce parti comme un mouvement terroriste et un bras armé de l’Iran qui impose son hégémonie sur un pays libre et souverain par la force des armes », commente Khaled Batarfi, un analyste saoudien. Il rappelle que la déclaration unilatérale de guerre du Hezbollah contre Israël le 8 octobre 2023 a occasionné des destructions terribles dans le pays. « Les erreurs se répètent, les conséquences aussi », note l’expert en référence à la guerre de juillet 2006.
La mort de Nasrallah ignorée
Fait notoire : aucune stigmatisation ou condamnation n’a émané du royaume, à l’instar d’une large frange du monde arabe, après l’assassinat du secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah. Une omission qui en dit long sur l’opinion que se forgent désormais les gouvernements et certaines populations de la région et qui tranche notoirement avec l’enthousiasme, toutefois mesuré, exprimé à l’issue de la guerre de 2006, considérée par une grande partie des Arabes comme un « camouflet asséné à Israël ». Au niveau de l’opinion publique arabe, et saoudienne en particulier, le Hezbollah – notamment du fait de ses ingérences en Syrie et au Yémen – est désormais perçu essentiellement comme un outil aux mains de l’Iran . Une perception qui est cependant plus nuancée à l’égard du Hamas qui, tout en étant un allié de Téhéran, n’est pas devenu un affidé totalement dédié à l’agenda iranien.
Animosité historique
Les Saoudiens n’ont ainsi pas oublié les attaques répétées contre leur royaume par le Hezbollah et ses provocations verbales des années durant : dans un discours prononcé en 2016, et alors que le conflit opposait au Yémen les rebelles houthis, proches de l’Iran, et Riyad, Hassan Nasrallah avait été jusqu’à affirmer que « le jihad contre l’Arabie saoudite était plus honorable que la guerre contre Israël ». Le royaume ne semble pas avoir oublié non plus que ce sont des membres du Hezbollah qui ont été désignés par le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), coupables de l’assassinat de son protégé, l’ex-Premier ministre Rafic Hariri. Un crime que la chaîne saoudienne al-Arabiya a tenu, il y a quelques jours, à rappeler à l’opinion publique, en rediffusant un documentaire à ce propos.
La rancune enfouie à l’égard du Hezbollah se manifeste principalement sur les réseaux sociaux, par la voix d’internautes saoudiens qui se déchaînent contre le parti chiite. Une animosité que les internautes proches du Hezbollah leur rendent bien. Mais dans les milieux du parti, on évite de commenter la politique saoudienne au Liban. Sollicité, le porte-parole du Hezbollah, Mohammad Afif Naboulsi, n’a pas donné suite.
Riyad est cependant considéré par le parti chiite comme l’un des principaux alliés des États-Unis, le pire ennemi du Hezbollah. Et ce, quand bien même l’Arabie saoudite s’est quelque peu distanciée de Washington depuis quelques années, en œuvrant à forger sa propre ligne diplomatique et à diversifier ses relations en renforçant ses liens avec la Chine et sa coopération pétrolière avec la Russie, parallèlement à l’amorce d’une ouverture en direction de l’Iran.
Les relations mouvementées de l’Arabie avec le Hezbollah et l’irritation ascendante de Riyad à l’égard d’un Israël intransigeant placent toutefois le royaume dans une situation délicate. Il craint surtout qu’en cas de guerre totale, un effet boule de neige sur le royaume et la région soit désastreux. Aujourd’hui Riyad voudrait donc maintenir les canaux de communication avec Téhéran, pour s’assurer que ses intérêts resteront à l’abri, notamment en cas de riposte iranienne à la frappe israélienne contre l’Iran. Celle-ci – mesurée en apparence , car elle n’a frappé ni les sites nucléaires ni les raffineries iraniennes – a en réalité paralysé la production de missiles balistiques iraniens et dégradé les systèmes de défense aérienne S-300, diminuant d’autant la capacité de dissuasion de Téhéran face à une éventuelle opération israélienne plus large.
Les Saoudiens ne sont pas mécontents de voir l’Iran et ses affidés affaiblis de la sorte. Mais en même temps, ils craignent qu’Israël cherche à provoquer une guerre totale avec l’Iran, qui mettrait en danger leur propre sécurité. C’est la raison pour laquelle ils œuvrent activement afin de parvenir à un cessez-le-feu le plus tôt possible, un souhait qui est d’ailleurs partagé par l’Iran.
Reconquérir son rôle de chef de file
En réalité, l’Arabie saoudite se projette d’ores et déjà dans la phase de l’après-guerre dans la région, souhaitant recouvrer son rôle de chef de file du monde arabo-sunnite. Le royaume planifie en effet dès à présent l’après-guerre à Gaza et au Liban. Il espère ainsi que ceux qui ont quitté le giron arabe y reviennent et que les États arabes s’engageront alors à reconstruire Gaza et le Liban.
Il reste à voir si l’Iran permettra pour autant le retour du Liban dans l’orbite arabe. L’accord entre Riyad et Téhéran, destiné à rétablir leurs relations diplomatiques rompues en 2016, est principalement fondé sur le principe du respect « de leur souveraineté (respective) et de la non-ingérence dans leurs affaires intérieures ». Un argument que Riyad pourra faire valoir concernant le Liban, d’autant que le royaume est aujourd’hui bien placé pour jouer un rôle d’équilibre entre Israël et l’Occident d’un côté, et l’Iran de l’autre.
Le prince héritier Mohammad ben Salmane, en coordination avec le président français Emmanuel Macron, met actuellement l’accent sur l’aide humanitaire pour sauver le Liban, comme l’a illustré notamment la conférence du 24 octobre à Paris.
Il est cependant clair pour tous que c’est le résultat de l’élection présidentielle américaine qui aura l’impact majeur sur la sortie de crise à Gaza et au Liban, ainsi que sur la négociation éventuelle d’un arrangement régional avec un Iran certes affaibli, mais disposant encore d’une réelle capacité de nuisance au Moyen Orient.