Que peut-on attendre de la prochaine visite du président de la République en Arabie Saoudite ?

29.11.2024 - Regard d'expert

La visite d’Etat que le président de la République effectuera du 2 au 4 décembre à Riyad aura une importance réelle. Outre la participation au sommet sur l’eau et la désertification – qui témoigne de l’intérêt majeur que la France accorde aux questions d’environnement – elle interviendra surtout à un moment particulier où la coopération franco-saoudienne ouvre de nouvelles perspectives.

Sur le plan politique, la concertation avec les Saoudiens sur les dossiers régionaux et internationaux intervient à la veille de l’arrivée au pouvoir du président Trump aux Etats-Unis. Tout le monde s’interroge naturellement sur sa politique future, dont il est clair qu’elle aura un impact considérable dans la région du Moyen-Orient. En effet, la situation dans la zone est très tendue et va sans aucun doute connaître des développements importants.

Le président Trump a ainsi indiqué que la guerre à Gaza et au Liban devrait avoir pris fin au moment de son entrée à la Maison Blanche. Or autant M. Netanyahou pouvait se permettre d’ignorer les demandes du président Biden sortant, autant il lui sera difficile de ne pas prendre en compte les souhaits du président Trump, dont l’action antérieure a montré l’engagement au profit d’Israël. Il est donc probable qu’un cessez-le-feu interviendra en janvier et qu’une négociation est déjà en cours  pour en définir les conditions.

Au Liban, la France aura un rôle significatif à jouer dans la mise en oeuvre d’une solution fondée sur la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations-Unies, car son engagement au côté du pays du Cèdre est une constante de sa politique étrangère et qu’elle a continué à dialoguer avec toutes les parties, y compris le Hezbollah. Les Saoudiens sont également un autre parrain du Liban et agiront comme « rassembleur de la famille arabe » et comme acteur de la reconstruction du pays.

A Gaza et dans les territoires palestiniens, il ne sera pas facile de trouver une solution durable au-delà du cessez-le-feu. On sait que le gouvernement israëlien voudra maintenir une présence militaire dans l’enclave pour éviter une renaissance du Hamas et qu’il est opposé à la création d’un Etat palestinien. L’administration Trump sera, elle, tentée de reprendre la proposition de Jared Kushner pour un règlement de la question palestinienne, qui à l’époque a cependant été rejetée comme tout-à-fait insuffisante par les Palestiniens. Mais, après le conflit à Gaza, le royaume d’Arabie Saoudite – à qui Trump demande de reconnaitre l’Etat d’Israël – a marqué clairement qu’il ne le ferait que dans le cadre de la création d’un Etat palestinien. Les positions sont donc très éloignées et il faut s’attendre à une discussion serrée entre Américains et Saoudiens sur cette question ( ainsi par ailleurs que sur la question du pétrole où le souci du président Trump d’accroître la production américaine d’hydrocarbures contrecarre les efforts saoudiens pour faire remonter le cours du brut, indispensable pour le financement des grands projets de la « Vision 2030 » ).

Sur la question d’un arrangement régional avec l’Iran, le président Trump ne fait pas mystère qu’il reprendra sa politique de pression sur les autorités de Téhéran, en particulier sur le dossier nucléaire. Cela ne signifie pas pour autant qu’il accèdera à l’ambition apparente de M. Netanyahou de frapper les installations nucléaires iraniennes. En effet, il préfèrera sans doute profiter de l’affaiblissement de l’Iran – du fait de sa situation économique désastreuse, de l’accroissement de la contestation intérieure et de la fragilisation de ses « proxies » Hamas et Hezbollah – pour lui imposer un « deal », sans prendre le risque d’un embrasement régional que ses alliés du Golfe craignent. Il est donc clair que l’Arabie Saoudite – qui a rétabli le dialogue avec Téhéran – sera amenée à jouer un rôle important dans la négociation d’un arrangement éventuel (ce qu’elle n’avait pas pu faire en 2015).

Pour toutes ces raisons, la France a intérêt à une concertation étroite avec Riyad, qui est aujourd’hui incontournable dans la région. La contribution de la France sera naturelle sur le Liban. Paris devrait aussi jouer un rôle actif – correspondant à son image traditionnelle dans la région – pour faciliter une avancée sur la question palestinienne. Et dans la définition d’un arrangement régional avec l’Iran, si la carte majeure est dans les mains du président Trump, la France peut – de concert avec Riyad qui dialogue avec Téhéran – apporter des idées pour faire avancer les choses. Sur la question pétrolière aussi, la France et l’Europe peuvent – comme consommateurs importants – jouer un rôle entre les intérêts contradictoires des Etats-Unis et des pays du Golfe pour définir un prix raisonnable.

S’agissant enfin de la coopération bilatérale entre la France et l’Arabie Saoudite, elle est déjà de bon niveau et la visite du président de la République sera l’occasion de signer un certain nombre de contrats. Il y aura clairement une relance de la coopération sur le grand projet culturel et touristique d’Al Ula et un approfondissement significatif de la contribution française à la formation des jeunes saoudiens, dans de nombreux domaines. Cet investissement dans le capital humain correspond à une priorité pour les autorités saoudiennes et il est pour la France Indispensable, afin d’assurer sur le long terme une coopération fructueuse entre les deux pays.

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.