Au Burkina Faso les hommages appuyés aux victimes du terrorisme s’enchainent à rythme soutenu sur fond de lancinants appels à l’unité du président Roch Marc Christian Kaboré. Des implorations pour la paix civile mûrement calculées face au risque de séparatisme et d’effondrement du contrat social qui pèse sur ce pays enclavé de 20 millions d’habitants.
Cette unité existe-t-elle encore ? Rien n’est moins sûr après le massacre de 160 civils, dont une vingtaine d’enfants, à Solhan dans la nuit du 4 au 5 juin. Magasins pillés, habitations incendiées, bétail volé…Cette localité de 3 000 â mes d ans l a p rovince d u Yagha ( nord-est) a é té dévastée, comme rayée de la carte. Malheureusement, le « Pays des hommes intègres » est devenu coutumier de tels assauts dans une zone formant un arc de cercle lequel partant d’Ouahigouya jusqu’à Fada N’Gourma dans laquelle le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) affilié à Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) et l’Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS) se vouent désormais une farouche concurrence.
Près de 1500 civils ont perdu la vie dans des attaques menées principalement dans ce périmètre depuis 2015. Majoritairement rurales, les populations ont quitté leur village pour rejoindre le million de réfugiés intérieurs. Alors que les attentats se sont amplifiés ces derniers mois, c’est également à partir de l’est du pays que sont généralement lancés les attentats au Niger frontalier, notamment dans la province de Tillabéri, comme en témoigne celui qui coûta la vie à six Français, membres de l’ONG Acted, en août 2020 dans le parc animalier de Kouré. A ces attaques s’ajoutent celles, à forte charge symbolique, sur Ouagadougou. Début 2016, une trentaine de morts est déplorée lors d’actions revendiquées par AQMI contre le café Le Capuccino et le Splendid Hôtel sur l’avenue Kwame N’Krumah, l’une des principales artères de la capitale. En 2017, vingt autres personnes tombent sous les balles d’un tireur isolé au café-restaurant Aziz-Istanbul. En 2018, la ville est frappée par une attaque du même groupe visant l’Etat-major général des armées près de la place des Nations unies (centre) ainsi que l’Ambassade de France située à quelques encablures. Preuve de la capacité mortifère inaltérée des groupes terroristes, la tuerie de Solhan est, à ce jour, la plus meurtrière. Inédite par le nombre de victimes, cette dernière s’avère inquiétante à double titre. D’une part, elle renvoie à l’incurie des forces armées nationales.
Celles-ci ne se sont déployées qu’après plusieurs heures soulignant leur très faible réactivité, mais aussi des capacités en renseignement et en logistique à l’étiage. Après un premier forfait, les assaillants sont revenus dans la localité pour n’en repartir qu’à l’aube du 5 juin sans être inquiétés le moins du monde. D’autre part, ce drame pointe clairement les limites des dispositifs internationaux de lutte antiterroriste (force Takuba, force Barkhane, G5 Sahel…) a fortiori dans le pays le moins étendu – 274.000 kms² – de la coalition du G5 Sahel. Alors que l’identité des assaillants reste mystérieuse, l’attaque de Solhan peut être, par son aveuglement sanglant, à rapprocher du mode opératoire de l’EIGS. S’étant essentiellement déroulée sur un site aurifère, elle suggère le marquage d’un territoire en vue de capter des ressources stratégiques. Mais elle pourrait tout autant constituer l’énième manifestation d’un conflit enraciné localement n’ayant qu’un lointain rapport avec l’hydre djihadiste. Les violences intracommunautaires se greffent, en effet, au terrorisme fondamentaliste en stratifiant progressivement la criminalisation de la société burkinabè. Ce phénomène est apparu depuis l’autorisation accordée aux civils par l’Etat d’ériger des groupes d’autodéfense. Alors que cette initiative n’a pas prouvé son efficacité sur le terrain, ces Volontaires pour la défense de la Patrie (VDP), paysans, agriculteurs mais aussi bandits de grand chemin regroupés en association et connus sous le vocable « Koglweogo », ont mué pour certains en milices armées.
Ils rançonnent les populations, règlent les conflits fonciers ou agro-pastoraux par la force lorsqu’ils ne sont pas à l’origine d’expéditions punitives de type communautariste. Fin 2018 et début 2019 l’un de ces groupes s’en est pris à des populations Peules à Yirgou près de la ville de Barsalogho (nord-est) à la suite d’une attaque jihadiste. Bilan : cinquante morts. Les Peuls se trouvent de plus en plus ciblés pour de supposées connexions avec les islamistes. De semblables affrontements s’étaient déjà produits avec des mossis, ethnie historiquement dominante, en mars 2018, à Aribinda (nord). Insurrection fondamentaliste et dynamiques endogènes placent le Burkina Faso au coeur du dessein funeste de groupes protéiformes que l’armée nationale s’avère incapables d’endiguer. « La réponse essentiellement militaire du gouvernement et le recours à des civils armés sur lesquels il n’exerce qu’un contrôle limité ont conduit à des abus favorisant les recrutements jihadistes et leurs basculements dans une violence aveugle », note International Crisis Group dans un récent rapport.
Très affaibli depuis la chute de Blaise Compaoré, fin 2014, non structuré avec des soldats résignés, le dispositif sécuritaire devient, sur le modèle malien, extrêmement friable. Ce contexte a justifié le déplacement en urgence de Jean-Yves Le Drian à Ouagadougou pour assurer de la solidarité et du soutien de Paris tout en rappelant, sur son compte tweeter, « la détermination à suivre le combat commun contre le terrorisme au Sahel ». Au moment où elle est confrontée aux instabilités institutionnelles du Mali et du Tchad, le spectre d’un délitement voire d’un effondrement de l’Etat burkinabè sur ses bases serait pour la France le pire des scénarios.