Élections allemandes : camouflet potentiel pour les partis historiques, mais émergence d’une vague verte opportuniste et réaliste
Entre Berlin, Düsseldorf, Stuttgart et Munich, c’est avec une âpreté inédite que, sur fond de guerre intestine au sein de la chrétienne-démocratie, les deux ultimes postulants à la fonction suprême de chancelier se sont livrés à une rixe fratricide. Un combat douteux qui, empreint de rancoeurs irréductibles, s’est finalement conclu, avec le retrait du ministre-président de la souveraine Bavière qu’est plus que jamais Markus Söder.
Ce dernier, bien que globalement plébiscité dans les sondages, a du finalement abandonner le champ au profit d’Armin Laschet, ministre-président de la Rhénanie-Wesphalie, région allemande la plus puissante, riche et influente, du système fédéral allemand. En l’espèce, si Laschet a été sauvé par le gong malgré sa pâleur rhétorique, c’est moins par les oeuvres, même brillantes, de son rival méridional de l’Allemagne, que parce que près du tiers des chefs des Länders de l’ex-RDA, se prenant pour des laissés pour compte colonisés, entendaient, manifester leur soutien à leur homologue Bavarois.
La conséquence d’une vieille histoire, source de terribles frustrations et dissensions tant les divisions nord/sud et est/ouest des partis conservateurs allemands restent prégnantes. En référence à cette Allemagne-confettis du Saint Empire romain germanique qui hante encore et toujours les esprits. Peut-être même, celui d’Angela Merkel, chancelière sur le départ, férue d’histoire, dont le silence craintif, dans le cadre de cet âpre conflit d’égos, a été et reste tonitruant. Avec pour effet, la cruelle vacance d’une vision cohérente de ce que devrait être, pour peu que l’actuelle pandémie offre un moindre répit, la stratégie de l’Allemagne dans sa globalité.
A vrai dire, il s’avère que la longue période de prospérité économique de ce début de 21ème siècle n’a pas été exploitée afin que soit formulée une stratégie d’avenir économique et systémique un tant soit peu efficace. Cette faille, imputable à la passivité de l’actuelle chancelière, est de plus en plus dénoncée. Que ce soit en matière de digitalisation du pays, de remodelage du système scolaire, d’autres registres d’excellence ou de références mondiales. Cet état de fait est renforcé par l’actuelle gestion, jugée erratique, d’une pandémie coriace. Ce que souligne sévèrement Bert Rürup, chef économiste du Handelsblatt, lorsqu’il constate que l’État allemand, sauf à formuler des interdits financiers en direction de ses voisins européens et autres, ne brille guère sur le champ des propositions d’avenir. Alors même qu’au-delà de l’échéance électorale du 26 septembre, l’automne à venir sera fatalement marqué par l’explosion des bombes à retardement fiscales laissées par l’actuelle grande coalition. Cependant, dans cette débâcle, la seule consolation est l’étonnante mue, en son sommet, des responsables actuels du parti écologiste allemand.
Dans l’immédiat, suite aux élections régionales récentes, une nouvelle fois brillamment remportées par les Verts dans le Bade-Wurtemberg et en Rhénanie-Palatinat, ces derniers ont choisi, ce lundi 19 avril, cette alerte quadragénaire qui, depuis 2018, co-dirige le parti écologiste en tant que candidate à la chancellerie de Berlin. Annalena Baerbock bénéficie d’un rituel démocratique inédit, puisqu’il appartenait à Robert Habeck, le quinquagénaire de ce binôme, outre de faire élégamment l’apologie de l’impétrante, de lui céder galamment la place de choix de candidate à la chancellerie du parti vert. Un beau geste. Alors même qu’il aurait parfaitement pu, vu son charisme personnel et son rôle éminent dans la résurrection du parti écologiste, convoiter lui-même ce poste. Docteur en philosophie, écrivain à ses heures, Habeck est né à Lübeck, port natal de Willy Brandt, ce chancelier charismatique et historique, père de l’Ost-Politik, qu’il vénère depuis l’enfance. Un certain temps, ce séduisant nordique fut assimilé à un intellectuel mâle charmeur à l’image de George Clooney. Désormais sa fonction, ardue, de ministre de l’Environnement au sein du gouvernement local du Schleswig-Holstein lui réussit, de la même façon que l’épreuve que représente pour lui, aujourd’hui le renoncement à la fonction politique allemande suprême. Sera-t-il néanmoins encore frustré par cette marginalisation choisie lorsqu’il entrera en lice pour les élections parlementaires du 30 septembre prochain ? Seuls les quelques phallocrates qui peuplent encore les arènes politiques allemandes le subodorent. Mais rien ne l’indique a priori. Pour la bonne raison que cette mesure de parité dont jouit aujourd’hui Annalena Baerbock est le fruit d’un processus démocratique singulier voulant que, désormais, place soit enfin mieux faite aux femmes. Qui plus est dans le cadre d’une offensive de charme très habilement menée à l’adresse d’un électorat forcément touché par autant de prévenance.
En alignant 23 points dans les sondages hebdomadaires publiés, et alors que leurs rivaux électoraux des partis chrétiens-démocrates ou sociaux-démocrates, désormais en chute libre, alignent des scores respectivement de 28 (à seulement 5 points de la CDU) et 16 points (avec un gain de 7 points de plus que le SPD), les Verts savent qu’ils ne pourront visiblement pas, à court terme, espérer porter Madame Baerbock à la fonction suprême de chancelière. Mais, transitoirement, à une place de numéro 2 à portée de main, au sein d’un gouvernement de coalition de « type drapeau jamaïcain », noir conservateur, jaune libéral et vert écolo. Sur la question de cette future coalition, désormais envisageable, les amis de la nouvelle candidate chancelière restent à la fois humbles et prudents. Annalena Baerbock ne se voit donc pas remplacer Angela Merkel à court terme. D’où sa volonté, appuyée par Robert Habeck, d’inspirer, puis initier les dossiers, projets, percées et avancées de la « grande transition écologiste » qu’elle appelle de ses voeux. Celle-ci, dans son esprit, s’apparentant d’évidence, en termes programmatiques, bien plus au pragmatisme realos de ses aînées fréquentables et assumés des années 1980, 1990, qu’aux utopies gauchisantes des Fundis de la même période. C’est dire si une alliance avec les chrétiens-démocrates n’est nullement taboue. Ceci dans le cadre d’une ouverture internationale bienvenue envers la génération Google, au sein de laquelle se compte la classe d’âge 35/55 ans, soit tout un potentiel militant se posant en socle électoral d’avenir des Verts allemands.
C’est là, estime Habeck, une évolution du système démocratique allemand sensible et parfaitement exploitable. Comme beaucoup, le co-leader vert constate l’épuisement d’une forme de socialisation politique rituelle des citoyens à travers les partis. Sauf que ces derniers, autant sociaux-démocrates que chrétiens-démocrates ont, depuis 1990, perdus 40 % de leurs membres. Dans un contexte où, au sein de ces formations, les militants de moins de 60 ans ne représentent plus que la moitié des inscrits. C’est dire si, au fil de ces quatre mandats et face à ce défi, le pragmatisme « désidéologisé » de la chancelière n’a été d’aucune aide régénératrice. Une carence de même nature s’observant par ailleurs au sommet du parti partenaire de la coalition social-démocrate, surtout tentée de se radicaliser vers nulle part, en mal de chef identifiable. Ou de rallier les Verts pour les plus progressistes de cette gauche de gouvernement en panne d’idées neuves. Ce sont là autant d’aggiornamentos qui, en Allemagne, font éclater les polarisations politiques gauche / droite du passé. En permettant aux écologistes de se poser en mouvement central déterminé.
Une ambition qui explique le dessein d’Annalena Baerbock, femme d’avenir fougueuse, et de Robert Habeck, penseur charismatique auto-sacrifié sur l’autel de la cause féministe, d’exploiter cette mine centrale. Déjà, Annalena Bearbock s’est, sur le terrain international, manifestée. Très symboliquement, avec sa présence, à deux pas de Laurent Fabius, à Paris, en décembre 2015, lors de la signature de l’accord COP21. Ce jour-là, émue aux larmes, cette mère d’une fillette de quelques mois endormie dans le landau qu’elle poussait devant elle, savourait ce qu’elle ressentait comme l’une des plus fortes joies de sa vie. Assimiler cette battante férue d’économie politique à une pure romantique serait néanmoins se leurrer. Puisque, bien que luthérienne baptisée, elle n’en est pas pour autant croyante et pratiquante. Tout en ne négligeant jamais le climat émanent des communautés rassemblées dans des temples qu’elle fréquente assidument. Sa trajectoire d’ancienne très bonne étudiante en économie de l’université de Hambourg, puis à la prestigieuse London School of Economics est bien plus significative en terme de modernité décomplexée.
Et tout autant la promotion récente de son mari, le consultant Daniel Holefleisch, en tant que directeur de la Communication de la Bundespost. Annalena Baerbock, vaillante en diable, sait néanmoins qu’elle devra laisser du temps au temps d’ici 2025, année du prochain renouvellement du Bundestag. Et elle ne sait pas si de la « formule jamaïcaine », arithmétiquement triangulaire, qui se dessine, naîtra une alliance gouvernementale opportuniste entre chrétiens-démocrates et Verts. Comme de juste consolidé par un parti libéral régénéré et aujourd’hui dotés de 10 % des suffrages. Avec pour effet, dans l’immédiat, et selon le très sérieux institut de sondage Allensbach, de mettre Armin Laschet, toujours ministre-président chrétien-démocrate de la Rhénanie et récemment élu chef du parti Chrétien-démocrate, en selle à la chancellerie de Berlin.