République démocratique du Congo, L’audacieuse stratégie de Félix Tshisekedi pour la présidentielle de 2023
N’eut été le tunnel d’élections présidentielles prévues au printemps (Niger, Bénin, Tchad, Congo-Brazzaville…) l’intérêt majeur de l’actualité politique africaine, en 2021, devrait résider dans l’actualité de la République démocratique du Congo (RDC). Depuis plusieurs semaines, ce pays-continent offre le spectacle inédit de David, incarné par le président Félix Tshisekedi alias «Fatshi», terrassant méticuleusement Goliath, représenté par son prédécesseur Joseph Kabila.
Feutrée durant des mois, la guerre que se vouent ces deux leaders dans le plus vaste pays africain derrière l’Algérie, se joue désormais à fleuret démouchetés. Objectif du locataire du Palais de la Nation, à Kinshasa : desserrer l’étau imposé par l’ancien chef de l’Etat dans le cadre d’une alliance contre fortune scellée durant la présidentielle de 2018. Pour Félix Tshisekedi l’enjeu est double. D’une part, élargir sa base électorale à l’approche de la présidentielle de 2023 tout en affaiblissant, d’autre part, corrélativement celle de son adversaire, soucieux de prendre sa revanche au cours du même scrutin. Élu à la présidentielle du 30 décembre 2018 dans des conditions contestées, le patron de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) ne doit, en effet, sa victoire qu’à l’association de circonstance nouée avec le président sortant alors au pouvoir durant dix-huit ans. Déclaré vainqueur de cette élection en lieu et place de Martin Fayulu, candidat de la coalition de l’opposition Lamuka donné gagnant par les observateurs de l’influente Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), Félix Tshisekedi s’est vu contraint, dès le début de son mandat, d’entamer une cohabitation forcée avec l’ancien régime, ce dernier ayant remporté les législatives organisées le même jour sur fond de dénonciations de fraudes à grande échelle. Suspecté de vouloir garder les rênes du pouvoir en coulisse et fort de sa domination au parlement à travers le Front commun pour le Congo (FCC), Joseph Kabila a ainsi âprement négocié l’entrée de ses proches dans le gouvernement de cohabitation.
Ces derniers ont raflé les principaux postes régaliens. Son ancien conseiller Sylvestre Ilunga Ilunkamba a été imposé comme chef du gouvernement. En outre, la majorité à l’Assemblée nationale lui a très vite assuré un contrôle total de la politique de Félix Tshisekedi avec la capacité de faire et de défaire ses différentes réformes. Cet attelage va cependant rapidement s’essouffler. Enserré dans un étouffoir, empêché de porter librement ses actions, le fils d’Etienne Tshisekedi, opposant historique du président Mobutu Sese Seko, entend se libérer de ce poids après deux années de mandat sous tension. Se montrant beaucoup plus roué que la bonhomie de son visage ne le laisse supposer, il décide, le 6 décembre 2020, après de larges consultations, de faire voler cette coalition en éclat en actant la rupture avec son allié. Le château de cartes congolais issu d’une alternance qualifiée d’historique malgré ses lourdes imperfections se trouve totalement rebattu. Le divorce se joue en plusieurs actes. Le premier au parlement avec le basculement de plusieurs dizaines de députés apparentés FCC dans le camp du nouveau pouvoir. Dans un pays où chaque fonction est monnayable et achetable, le Cap pour le Changement (Cach), la mouvance pro-Tshisekedi, organise une véritable « transhumance » en vue de ramener les pro-kabilas au sein d’une « Union sacrée » constituée autour de son projet de société. Symbole de ce mouvement de balancier, une centaine de députés jadis ralliés au FCC dont des caciques comme l’emblématique ministre de l’information Lambert Mende décident de rejoindre la nouvelle majorité en formation. Rongé de l’intérieur, le parti kabiliste perd de facto la présidence de l’Assemblée nationale ce qui se traduit par la destitution de la présidente pro-kabila Jeanine Mabunda après un vote sur fonds de violences entre les deux camps.
Le second acte et autre revers pour le FCC est symbolisé par la chute de Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Ce dernier était en poste depuis mai 2019 au terme d’âpres négociations avec Joseph Kabila. Il assurait pour le compte du président sortant le rôle de vigie sur l’ensemble de l’exécutif. En janvier dernier, il a dû démissionner et abandonner son fauteuil à la suite d’une motion de censure du nouveau bloc parlementaire. Voulant éviter toute mesure de rétorsion et de contestation violente Félix Tshisekedi s’est, par ailleurs, employé à ranger le dispositif sécuritaire de son prédécesseur de son côté. Avant de rompre les amarres, il s’est notamment assuré de la loyauté de l’armée tout en s’ingéniant à obtenir des plus hauts responsables militaires la neutralité républicaine à l’image du commandant de la Garde Républicaine (GR), le général-major Christian Tshiwewe Songesha. Plusieurs personnalités emblématiques de l’ère Kabila sont parallèlement inquiétées par la justice. C’est le cas de Kalev Mutond. Le patron de la puissante Agence nationale de renseignements (ANR) de 2011 à 2018 qui est actuellement rattrapé par la justice pour des faits de détentions arbitraires, tortures et tentative d’assassinat. Enfin, l’ancien président s’est vu privé, début février, des centaines d’hommes qui composaient sa garde rapprochée à travers tout le pays. Ces derniers ont été priés de rejoindre leurs unités respectives. Désormais, la protection de Joseph Kabila n’est plus assurée que par de simples policiers. Qu’ils soient attirés par les sirènes de la nouvelle majorité ou dépouillés de leurs prérogatives, les dépositaires du régime ayant régnés sur le pays de 2001 à 2018 sont progressivement marginalisés.
A l’instar de Kalev Mutond, ils se savent par ailleurs à la merci de poursuites judiciaires et autres tracasseries du même acabit. Pour l’heure, le camp kabiliste n’a pas réagi outre mesure à cette chasse aux sorcières si ce n’est par les violences partisanes au Palais du Peuple, siège le parlement, lors de la dénonciation par Félix Tshisekedi de l’accord de gouvernement. Toutefois, au pays où le mercato politique est érigé en sport national, Joseph Kabila n’a sans doute pas dit son dernier mot. Un coup de théâtre n’est jamais à exclure dans l’ex-Zaïre où l’instabilité demeure une donnée fondamentale de la géopolitique locale. Pour l’heure, le fils de Laurent Désiré Kabila joue comme à son habitude l’effacement et se contente de multiplier les voyages à l’étranger.
Mi-février, il se trouvait à Dubaï loin du tumulte kinois.