Emmanuel Macron n’a jamais été réputé pour faire de l’immobilier en général et du logement en particulier un axe majeur de l’action publique. Tenté d’associer ce secteur à celui des rentiers du monde d’hier, le Président de la République aurait vite fait de lui appliquer comme il l’a fait aux aides sociales son expression de « pognon de dingue qui ne résout pas la pauvreté». Pour l’Elysée, les tombereaux d’’argent public déversés à fonds perdus pour soutenir le logement à coups d’aides et d’exonérations fiscales ne sont jamais parvenus à résoudre la crise de l’habitat. Ils l’auraient au contraire aggravée. En alimentant l’envolée des prix du mètre carré. En enrichissant indirectement promoteurs et entreprises de BTP.
En berçant ces « dodus dormants » que sont les bailleurs sociaux assis sur leur tas d’or. Un simple coup d’oeil à la place occupée par la ministre déléguée du logement dans l’organigramme du gouvernement résume en soi la « modeste » importance accordée à ce domaine. Même si, en rattachant ce poste au ministère de la Transition écologique, Jean Castex a rehaussé le logement et la construction au rang de levier qui peut être utile pour la politique de relance. Ce n’est donc pas le moindre des paradoxes que de constater le fossé béant entre d’un côté la préoccupation majeure des Français pour la question du logement, dont l’accès, le prix et la qualité sont problématiques dans les grandes métropoles et l’importance toute relative dont le discours et l’action publics lui font l’aumône. Or, la crise sanitaire et économique ne fait que poser encore plus crûment le problème du logement en France.
Et le confinement n’a jamais rendu aussi crucial le problème pour les Français de l’espace où habiter dans des conditions acceptables pour vivre et télétravailler. Le secteur du logement, il faut le reconnaître, ne manque pas de prêter le flanc aux reproches. Il participe toujours d’une vision très parisienne et centralisée, peu adaptée à ce qui se passe dans les régions et hors des métropoles. Il reste très cloisonné. Chacun y défend son point de vue et son intérêt : logement social, logement privé, secteur public, secteur privé, monde de la recherche, monde de la construction.. Le tout alimentant cette impression d’opacité et de jargon qui n’aident sans doute pas à la compréhension du sujet et de ses enjeux.
Le secteur public considère que le privé n’est constitué que de spéculateurs ; le privé que le public est lent, drogué aux normes, et ne comprend en rien les logiques entrepreneuriales. Et pourtant, tout ce petit monde aurait beaucoup à gagner d’une coopération fertile. On peut donc penser justifiées les intentions formulées au début du quinquennat de tout remettre à plat et en finir avec l’injection à fonds perdus de l’argent public dans le logement qui n’aboutit qu’à l’envolée des prix et à l’aggravation du déséquilibre entre l’offre et la demande. Les mesures adoptées depuis trois ans sont toutes allées dans ce sens : sevrer le secteur des soutiens fiscaux et déductions de tous ordres qui le portent à bout de bras. De la baisse des APL à la suppression du prêt à taux zéro dans les zones accessibles aux jeunes ménages en passant par le remplacement de l’ISF par l’Impôt sur la fortune immobilière (le procès de la rente encore).
Las ! Cette série de mesures prises cahin cahas, (la première baisse maladroite de 5 euros des APL est là pour le montrer) n’a pas provoqué le choc d’offre attendu et partant la baisse des prix. C’est même le contraire qui s’est passé. Le manque de logements dans les zones tendues reste criant. Les records de prix du mètre carré se sont accumulés depuis trois ans. Cette politique est surtout revenue, en réduisant les aides au moment où la crise commençait à se faire ressentir, à accélérer la chute des ventes, à provoquer la baisse de la construction par les bailleurs sociaux et à finir par menacer des milliers d’emplois dans le bâtiment. Au passage, l’Etat lui-même a desservi ses intérêts sachant qu’il récupère bon an mal an dans ses caisses sous forme de taxes et de droits plus de 40% des aides publiques distribuées.
Le tout pour finir par devoir lancer aujourd’hui un énième plan de soutien au secteur. Et inciter la Caisse des dépôts (de l’argent public donc) à racheter à prix décotés aux promoteurs leurs programmes de logement en souffrance. Tout en relativisant l’efficacité de l’encadrement des loyers décidé par certaines collectivités, la ministre déléguée au logement en est réduite une fois de plus à exhorter le secteur à relancer la construction et inviter les maires à délivrer davantage de permis de construire. Un vieux discours rabâché depuis des décennies qui sonne comme un aveu d’impuissance d’un ministère qui ne dispose d’aucun moyen pour mener sa politique face à Bercy. Plus gênant, le ministère du logement disposait au moins jusqu’à présent d’une sorte de soupape budgétaire pour financer son action en comptant sur les réserves financières d’Action Logement, l’ancien 1% Logement. Rien n’assure que cette ressource, alimentée par la contribution des entreprises pour faciliter l’accès au logement de leurs salariés continuera de soutenir l’action du ministère.
Les ponctions répétées de Bercy sur la trésorerie d’Action Logement et sa tentation de réussir enfin à budgétiser définitivement cette manne financière pour boucler ses fins de mois pourraient finir par avoir la peau de ce système paritaire dont le modèle a pourtant fait ses preuves. Ce qui reviendrait à hypothéquer les capacités du ministère du logement à assurer son soutien à l’effort de construction, de rénovation, de sécurisation des bailleurs et de mixité sociale. Soyons lucides ! Depuis des années, en dépit des déclarations tonitruantes et des démonstrations chiffrées, le budget que l’Etat affecte au logement, ne cesse de diminuer.
La réduction de son effort n’est dissimulée que grâce à la contribution d’acteurs extérieurs mobilisant et fléchant l’argent privé vers le logement. Ce qui revient à utiliser une ressource destinée à de l’investissement de long terme pour subvenir aux besoins de très court terme de la cuisine budgétaire de l’Etat. Entre zig zags et tours de passepasse, la politique du logement en France continue malheureusement de se résumer en une succession de coups opportunistes plutôt qu’en une doctrine solidement établie. Peut être habile. Certainement pas durable.