En septembre 2018, les parlementaires Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue remettaient un rapport intitulé “D’un continuum de sécurité vers une sécurité globale” essentiellement consacré à la sécurité privée et aux polices municipales. Remis au Premier ministre, ce rapport essayait, à travers ses 78 propositions, de préciser les modalités de travail en commun de ces forces concourantes avec les autres forces de sécurité intérieure étatiques que sont les policiers et les gendarmes.
Un an et demi plus tard, en janvier 2020, ce rapport avait enfin été transformé en une proposition de loi dont l’examen en première lecture à l’Assemblée n’a finalement débuté que début novembre. Eu égard au contenu de la proposition de loi déposée en janvier, les débats autour auraient pu se limiter à des discussions très techniques sauf que entre-temps… le Gouvernement a substantiellement modifié le texte.
Il y est ainsi question, pêle-mêle, de la limitation des remises de peine pour les personnes condamnées pour avoir commis des violences à l’encontre de policiers et de gendarmes (article 10), du renvoi des images captées par les caméras-piétons des policiers et des gendarmes vers des hyperviseurs (article 21), du cadre juridique sur la base duquel les policiers et gendarmes pourront capter des images au moyen de drones (article 22), de l’autorisation pour ces mêmes policiers et gendarmes de conserver leur arme hors service y compris pour accéder à des établissements recevant du public comme les parcs de loisirs (article 25), ou encore de la pénalisation de la vente des mortiers d’artifices à des personnes non professionnelles de la pyrotechnie (article 30).
Alors que le texte a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 24 novembre dernier, un seul article a polarisé l’attention des médias, éclipsant les 31 autres que compte pourtant ce texte. Le désormais célèbre article 24 crée un nouveau délit de diffusion d’images de membres des forces de l’ordre dans le but de porter atteinte à leur intégrité physique ou psychique. Dans l’exposé de ses motifs, cet article vise à protéger l’identité des policiers et des gendarmes. C’est là une demande ferme des syndicats de police très inquiets des conséquences de la diffusion de leur identité notamment lorsqu’elle entraîne des drames de l’ampleur de l’attentat terroriste perpétré à Magnanville.
Mais force est de préciser que le rapport des policiers et des gendarmes à l’anonymat n’est pas identique : le modèle Gendarmerie repose sur la publicité de la qualité de gendarme des militaires de la Gendarmerie y compris en dehors de leurs heures de service ; et au sein même de la Police nationale la nécessité de l’anonymat ne se pose pas dans les mêmes termes pour un membre du RAID et pour un CRS. D’autre part, si la nécessité de préserver l’intégrité physique comme psychique des policiers et gendarmes est peu discutable, vouloir y parvenir par la création d’un délit tel que prévu à l’article 24 de cette proposition de loi l’est davantage.
D’abord, ce nouveau délit entrave la liberté d’information en dissuadant des journalistes de transmettre en direct des images de manifestation publique ne sachant pas si les commentaires que ces images appelleraient sur les réseaux sociaux feraient d’eux des complices ou des receleurs de ce nouveau délit. Ensuite, ce nouveau délit a toutes les caractéristiques d’un délit d’intention et il risque fort, pour cela, d’être censuré par le Conseil constitutionnel, d’ores et déjà saisi par le Gouvernement. Que d’énergie dépensée à ferrailler sur cet unique article alors que si le texte avait été un projet de loi et non une proposition de loi, le conseil d’Etat aurait été saisi pour avis et il aurait sans-doute dissuadé le Gouvernement de s’aventurer sur une pente juridiquement si dangereuse. Pour ce qui est du fond, la loi comporte des avancées notables pour les polices municipales.
Elle crée une police municipale parisienne qui avec 3400 agents dès sa constitution sera la première de France en nombre d’agents et, pour toutes les autres villes du pays, ce texte ouvre un débat public de fond. En effet, tant l’élargissement des prérogatives des polices municipales que de la variété des équipements qui leur sera permis d’utiliser sur la base de ces prérogatives étendues, interroge sur la substitution progressive des polices municipales à la Police et à la Gendarmerie nationales. La doctrine du Gouvernement en la matière est désormais établie et elle est inscrite dans le Livre blanc paru sans grande publicité le 16 novembre dernier.
Les maires, y lit-on, doivent prendre une part plus importante dans la mise en oeuvre des politiques publiques de sécurité : le risque principal est alors celui d’un creusement des inégalités entre les communes bien dotées et les communes plus pauvres. Enfin, la sécurité privée est paradoxalement la grande oubliée de ce texte. Alors que cette proposition de loi aurait dû être la sienne en améliorant la régulation de la sécurité privée dans la perspective de la Coupe du monde de rugby (2023) et des Jeux Olympiques et paralympiques (2024), elle déçoit les représentants de la profession.
Le Groupement des Entreprises de Sécurité (GES) estime que les mesures prises ne sont pas assez ambitieuses sur l’encadrement de la sous-traitance et sur les garanties financières, dans un contexte où les entreprises et leurs employés réclament unanimement plus de contrôle. Après avoir censuré loi dite « anti-casseurs » en avril 2019 puis la loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine en août 2020, les sages de la rue de Montpensier pourraient bien censurer, au printemps prochain, l’article 24 de la proposition de loi dite « sécurité globale ». Resteront alors tous les autres articles à l’exception du 24ème et, pour pasticher le conte d’Andersen, les parlementaires s’écrieront : « la loi est nue »