Tout-pétrole, dette colossale, corruption systémique, armée proéminente, faibles ratios sociétaux…l’Angola cumule tous les maux de l’Etat africain. Exacerbés par l’épidémie Covid 19, ceux-ci s’imposent depuis plusieurs mois avec force au président Joao Lourenço. Arrivé au pouvoir en septembre 2017 en mettant fin à trente-neuf ans de règne de José Eduardo Dos Santos, ce général de l’armée à la retraite a d’emblée voulu se désolidariser de son prédécesseur en relançant l’économie sclérosée tout en luttant avec une rare énergie contre la corruption. Difficile, toutefois, d’éloigner aussi facilement les stigmates du passé à commencer par l’emprise pétrolière dont le pays est le second producteur africain derrière le Nigéria.
La place accordée aveuglément à cette ressource par Dos Santos et ses cercles rapprochés a généré une forte croissance dans les années 2000. Mais l’oscillation permanente des cours mondiaux a parallèlement créé une fragilité chronique qui voisine désormais avec le spectre d’une banqueroute. Alors que les hydrocarbures représentent 60% du Produit Intérieur Brut (PIB) et plus de 80% des recettes d’exportation, la crise financière de 2016, le repli des prix du baril puis l’épidémie mondiale ont plongé Luanda dans une récession durable. Négatif depuis quatre ans le PIB est passé en valeur, selon le Fonds monétaire international (FMI), de 122 milliards à 88 milliards $ entre 2016 et 2019, soit 34 milliards de moins dans les caisses de l’Etat. Située à -0,2% en 2017, la croissance est tombée à -1,2% en 2018 et à -2,4% l’année suivante. Pour 2020, les prévisions de la Banque africaine de développement (BAD) oscillent entre -3,1% (scénario de base) et -5,3% (scénario pessimiste). Dans un pays où le niveau de chômage officiel atteint 32%, ces tendances n’annoncent rien de bon. Outre la baisse amorcée du budget de la défense (2,2 milliards $ en 2019 pour une armée de 107.000 hommes), le besoin de diversification est rendu plus indispensable que jamais. Plus de 50% des actifs sont employés par le secteur primaire contre 8% pour l’industrie et 42% pour les services, d’où l’empressement des pouvoirs publics à se concentrer sur l’essor de l’agriculture. C’était le thème central de la tournée européenne du chef de l’Etat quelques mois après sa victoire. Le pays dispose de 60 millions d’hectares de terres agricoles dont 5 millions d’hectares de terres arables.
Ce nouveau souffle réduirait du même coup la dépendance aux importations. Attendu à Luanda fin 2020, en réponse à la visite de son homologue à Paris, en mai 2018, Emmanuel Macron devrait accentuer la coopération et les investissements de la France dans ce secteur. Autre héritage « empoisonné », le niveau d’endettement excède désormais 120% du PIB avec une dépendance dangereuse envers la Chine, premier investisseur et partenaire commercial. Là aussi, l’approche de l’ancien régime consistant à miser sur Pékin a placé l’Angola dans une dépendance mortifère. De par son poids sur cette dette (45% du volume correspondant à 22 milliards $), la Chine pèse sur les conditions des négociations avec le FMI même si cette institution a, malgré tout, concédé l’an dernier un prêt de 3,7 milliards $. Surtout, cette situation oblige les autorités actuelles à rembourser ce pays en cargaisons de brut, sur le principe des prêts contre ressources naturelles, faute de stocks de devises et de rentrées budgétaires suffisants pour répondre à ses engagements. Ce contexte tendu pousse le pouvoir angolais à accélérer son programme de privatisation afin d’engranger de nouvelles recettes. 195 entreprises publiques sont concernées d’ici 2022 parmi lesquelles des fleurons comme la diamantifère Endiama, la compagnie nationale Taag Angola Airlines, Angola Telecom ou encore la Sonangol, acteur emblématique du secteur pétrolier. La lutte anticorruption engagée sans relâche depuis trois ans est rendue tout aussi nécessaire. Elle poursuit deux objectifs. D’une part, assainir le climat des affaires pour obtenir le satisfecit, donc l’appui, des bailleurs de fonds. D’autre part récupérer les sommes détournés. Ces dernières sont colossales. Depuis leurs premières investigations les autorités évaluent les détournements sous les précédentes mandatures à 24 milliards $. Cette traque a déjà permis l’effondrement aussi méthodique que spectaculaire de « l’Empire Dos Santos ».
Poursuivi pour fraudes, détournements et blanchiment lorsqu’il dirigeait le Fonds souverain angolais de 2013 à 2018, Jose Filomeno dos Santos, le fils de José Eduardo Dos Santos, a été condamné à cinq ans d’emprisonnement pour avoir transféré illégalement 500 millions $ vers le Crédit Suisse. Quant à Isabel Dos Santos, fille de l’ex-président présentée durant des années comme la femme la plus riche d’Afrique par les Tabloïds, elle est visée par une vaste enquête sur le détournement de 5 milliards $. Ses avoirs, comptes et actifs financiers ont été gelés en Angola mais également au Portugal. Des accusations renforcées par une enquête d’envergure du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) connue sous l’appellation « Luanda Leaks ». Là encore Joao Lorenço, ex-ministre de la défense, se heurte aux durs pépins de la réalité d’un héritage encombrant. Cacique du MPLA, parti au pouvoir depuis l’indépendance du pays dont il a pris la présidence en 2018, le président angolais se pose comme l’un des dépositaires d’un système qu’il est censé combattre. Les limites de cet exercice sont illustrées par plusieurs récentes affaires qui éclaboussent son entourage immédiat. Des personnalités ayant servi sous l’ancien régime avant de rallier son camp.
C’est le cas de son directeur de cabinet et homme de confiance, Edeltrudes Costa. Ce dernier vient d’être épinglé par un reportage de la chaîne portugaise TVI pour des conflits d’intérêts et des faits d’enrichissement personnel. Sous le poids du passé et des fâcheuses habitudes le chemin de la rédemption risque donc d’être encore long. En 2019, Luanda figurait toujours en queue de peloton des pays les plus corrompus (146ème place sur 180) selon l’indice 2019 de l’ONG Transparency International.