Quatrièmes élections en deux ans : les limites du système politique en Israël
Albert Einstein a dit un jour que « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent.» Alors que les Israéliens sont retournés aux urnes pour la quatrième fois en moins de deux ans, cette notion de folie ne pourrait être plus pertinente.
Folie, tout d’abord, parce que ces quatrièmes élections – bien qu’attendues avec très peu d’espoir et extrêmement coûteuses – montrent qu’une fois de plus, le pays demeure dans une impasse. Folie, ensuite, parce que ce scrutin a été entrepris en espérant – on ose le croire – une issue positive – bien que les partis principaux soient les mêmes, que les leaders de ces partis soient – pour la plupart – également les mêmes, et que les programmes électoraux, si programmes il y a, ont eux aussi été très peu modifiés. Une question se pose: Pourquoi ? Pourquoi un gouvernement stable n’a pu être formé depuis tout ce temps ? Pourquoi aucune solution n’a pu être trouvée, tout en sachant que si ces élections n’ont pas abouti sur un gouvernement stable les fois précédentes, il est peu probable qu’un quatrième scrutin ait une issue différente ? Et, bonne ou mauvaise, il n’y a – presque – qu’une réponse à toutes ces interrogations : Benjamin Netanyahu. Le Premier ministre israélien, au pouvoir depuis plus de 12 années consécutives et à la tête du plus grand parti politique du pays – le Likoud – endosse en grande partie la responsabilité de ces élections à répétition et de cet immobilisme national. Pour autant, il n’est pas le seul responsable. Le système électoral l’est aussi.
De même que la majorité des leaders politiques du pays. Premièrement, Israël est une démocratie parlementaire, avec tout ce que cela implique. Le système électoral israélien est basé sur des élections législatives durant lesquelles les citoyens du pays élisent des députés qui siègeront à la Knesset (Parlement). Le parti remportant le plus de sièges – sur un total de 120 – se voit attribuer par le Président d’Israël un mandat afin de mettre en place le prochain gouvernement. Il doit alors former une coalition entre différents partis permettant d’atteindre les 61 sièges nécessaires pour avoir la majorité. Le parlement israélien est donc élu à la proportionnelle, dans le but de respecter les diverses minorités du pays, les citoyens israéliens étant issus d’horizons très différents. Malheureusement, ce mode de scrutin fondamental pour l’unité du pays, accentue l’instabilité et renforce l’influence politique de minorités qui sont essentielles à la formation d’une coalition. Ce mode électoral tient en otage Israël depuis plus de deux ans. Et pour cause. Afin de conserver une majorité, et donc de garder sa place de Premier ministre, Benjamin Netanyahu use de ce système en s’alliant avec les partis de la droite conservatrice, elle-même totalement fragmentée.
Ces partis prônent, entre autres, l’application des lois juives comme lois de l’État, ce que les partis du centre et de gauche refusent de soutenir, défendant qu’Israël doit rester un État libre et démocratique. Pour autant, cette fois-ci, les enjeux ne sont plus les mêmes, et Netanyahu pourrait être plus en danger qu’il ne le croit. Après quatres scrutins, ce n’est plus seulement son avenir politique qui est en jeu, mais également la refonte des alliances et la création de nouvelles permettant de remodeler le paysage politique israélien de demain. Lors des élections du 25 mars 2021, le Likoud a non seulement perdu 6 sièges par rapport aux élections précédentes, tombant à 30, mais le parti centre-gauche Yesh Atid de Yaïr Lapid est lui monté à 17. De plus, avec la création du nouveau parti de droite New Hope par l’ancien membre du Likoud Gideon Sa’ar, qui a focalisé la majorité de sa campagne sur l’idée d’une droite inclusive qui détrônerait Netanyahu, une alliance «anti-Bibi” pourrait prétendre à une majorité parlementaire et remplacerait de ce fait Benjamin Netanyahu après tant d’années. Pour autant, cette alliance n’a pas convaincu le Président d’Israël Reuven Rivlin qui a malgré tout donné le mandat permettant de former le gouvernement à Netanyahu. C’est avec une grande émotion qu’il a appelé à une unité nationale pour qu’Israël sorte enfin de cette situation insupportable autant pour l’ensemble des citoyens israéliens que pour l’image à l’internationale.
Si Netanyahu n’arrive pas à former de gouvernement dans les semaines qui suivent, et que le mandat revient aux partis souhaitant former une alliance contre lui, Netanyahu pourrait bien vivre ses dernières heures d’homme politique, et peut-être même d’homme libre. Bien que jugé pour corruption, Netanyahu n’a aucune obligation légale de démissionner à la suite des inculpations du procureur général, et joue une fois encore sa survie politique et personnelle. Réussir à former un gouvernement serait pour lui une manière d’asseoir son pouvoir et son autorité sur un pays qu’il dirige depuis plus de 12 ans, mais également un moyen pour lui de ne pas aller en prison s’il était jugé coupable. Mais jusqu’à quand ? En s’entêtant à rester au pouvoir, Netanyahu met en danger l’héritage plus que positif de son parcours à la tête du pays. Génie des relations géopolitiques internationales, Netanyahu peut ajouter à son palmarès, grâce à sa collaboration presque fraternelle avec l’administration Trump, la reconnaissance de Jérusalem par les États-Unis comme capitale d’Israël, la reconnaissance du Golan, mais surtout la signature de pas moins de quatres accords de paix avec ses voisins arabes en l’espace de seulement quelques mois. Bien que l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche ait refroidi quelque peu les liens entre les deux pays, Netanyahu ne compte pas attendre de la nouvelle administration américaine un appui tel qu’il a pu en avoir précédemment, mais espère continuer sa conquête de la paix au Moyen-Orient.
De plus, la façon remarquable dont a été gérée la crise du coronavirus en Israël, en faisant du pays un exemple à travers le monde pour la rapidité de sa campagne de vaccination, est tout à son honneur même s’il n’en est pas le seul responsable. Mais il y a un temps pour tout, et peut-être que l’ère Netanyahu devrait prochainement toucher à sa fin. Pour son propre bien, mais surtout pour l’équilibre et l’avenir du pays qu’il dit tant aimer. Il serait dommage que le seul souvenir qu’Israël ait de son leader – qui détient le plus long mandat de l’histoire du pays – soit sa volonté de rester à tout prix aux commandes du pays à défaut de tomber lui-même en disgrâce. Quant à savoir si ces quatrièmes élections mèneront Israël vers un gouvernement stable et représentatif de sa population, rien n’est moins sûr. Et au rythme où vont les négociations, des cinquièmes élections ne sont pas à exclure.