« L’avocat du peuple », l’homme à abattre ?
Le 13 janvier dernier, l’ancien Président du Conseil italien, Matteo Renzi, aujourd’hui Président de son parti Italia Viva (Iv), mettait ses menaces à exécution en annonçant le retrait de ses ministres du gouvernement de coalition auquel il appartenait aux côtés du Mouvement 5 étoiles (M5S), du Parti démocrate (PD) et de Liberi e Uguali (LeU). Tout en dénonçant un plan de relance économique « dénué d’ambition et d’âme », il accusait le locataire du Palazzo Chigi, Giuseppe Conte, d’avoir outrepassé ses pouvoirs en centralisant la gestion des fonds via la mise en place d’une « task force ». Sous l’égide de deux ministres techniques (Gualtieri à l’Économie et aux Finances et Patuanelli au Développement économique) et six chefs de file extérieurs au gouvernement, baptisés « managers », cette structure ad hoc devait assurer le suivi des projets prévus dans le cadre du Piano nazionale di ripresa e resilienza (PNRR).
Si Matteo Renzi a été le plus audible sur la scène médiatique, la mise en place de cette gouvernance autour du PNRR avait suscité des remous au sein d’un Parlement qui s’était senti dépossédé. En réalité, derrière ce duel entre les deux hommes, se cache une partie de la classe politique italienne voyant désormais le Premier Conte, dont la popularité reste élevée, comme une menace, et ne se réjouissant que modérément de le voir s’attribuer les mérites du pactole en provenance de l’Union européenne (L’Italie va recevoir plus de 200 milliards € sur un total de 750 pour l’ensemble des 27 pays). Mais le pari du Florentin s’est avéré – pour le moment – perdant : ses propositions concernant l’avenir de son pays sont passées inaperçues et son image s’est, in fine, dégradée aux yeux des Italiens, lasses des jeux tactiques : selon un récent sondage le parti renzien n’est crédité que de 3% des intentions de votes, quand la Lega de Matteo Salvini conserve sa première place avec 23,5%, suivie par le PD à 19,6%.
Et I et II et Conte III ?
Si le Parlement lui a accordé sa confiance, il a obtenu la majorité absolue à la Chambre des députés, mais seulement une majorité relative au Sénat, avec 156 votes en sa faveur, c’est un Giuseppe Conte fragilisé, voire dos au mur, qui a finalement présenté, en début de semaine, la démission de son deuxième gouvernement, après un peu plus de 500 jours d’existence. Cet ancien avocat veut tenter de former un nouvel exécutif et sortir la péninsule de cette crise politique, économique et sanitaire. Il faut souligner que les enquêtes d’opinion montrent que 80% des Italiens sont contre les élections anticipées, traduisant le décalage entre la situation actuelle et les préoccupations réelles des Transalpins. Bien que le retour aux urnes avant 2022 ait fréquemment pu être évoqué, la fenêtre de tir est en réalité réduite. En effet, les élections devraient avoir lieu avant le « semestre blanc » : le mandat du Président Sergio Mattarella se terminant en février 2022, il ne peut dissoudre le Parlement au cours des six derniers mois.
Ce garde-fou, prévu dans la Constitution italienne, est destiné à éviter toute manoeuvre pouvant influer sur la réélection ou la succession du Chef de l’Etat. Par ailleurs, une récente réforme a entériné le fait qu’un tiers des sièges des députés seront supprimés après les prochaines élections, réduisant l’appétit de certains pour un vote. La chasse au consensus politique s’est donc ouverte. La prudence quant à l’issue des consultations – dont la première phase se tiendra jusqu’à vendredi au Quirinal – reste de mise. Conte s’est fixé l’objectif de rester jusqu’à la législature en 2023. Le cas échéant, il aura piloté trois gouvernements avec trois majorités différentes – à la fin de l’été 2018, il avait déjà survécu à la crise provoquée par son ancien allié, Matteo Salvini, en changeant les couleurs de sa coalition. Un des scenarios serait, en effet, qu’il parvienne une nouvelle fois à renaître de ses cendres avec une majorité élargie, pro-européenne dite « majorité Ursula » (en référence aux forces politiques qui, en juillet 2019, ont fait élire à Strasbourg la présidente de la Commission européenne). En plus du Pd-M5s-Leu, il pourrait compter sur l’appui d’une poignée de personnalités dites « responsables » de centre droit notamment issues des rangs de Forza Italia, parti de Silvio Berlusconi.
Le retour de Renzi, auquel le M5S est aujourd’hui opposé, pourrait alors être envisagé, et serait contrebalancé par ce petit groupe qui enlèverait à Italia Viva son rôle de pivot. Cependant, Matteo Salvini, qui s’est entretenu avec Silvio Berlusconi, veut proposer d’autres solutions et ainsi freiner les ardeurs de ceux qui seraient tentés de rejoindre un gouvernement d’unité nationale.
Le regard attentif de l’Union européenne
Le pays est dans la tourmente alors que 2021 est une année décisive, tant sur la scène internationale, où l’Italie a pris la tête du G20 et pilotera en partenariat avec le Royaume Uni l’organisation de la COP26 à Glasgow, que sur le plan national où le prochain gouvernement devra relancer le moteur de la troisième économie de la zone euro, enrayé par une pandémie qui ne faiblit pas (plus de 80 000 décès), en défendant sa feuille de route auprès de la Commission européenne. La désignation d’une nouvelle équipe doit donc être rapide pour rassurer les Italiens, mais également l’Europe – qui surveille avec attention les évolutions politiques dans la péninsule – sur la capacité du pays à faire face aux prochains défis qui l’attendent.
Si l’enveloppe accordée par Bruxelles est historique, puisque cette somme représente 11% du PIB annuel, c’est aussi un défi gigantesque : en moyenne, chaque année, les Italiens ne parviennent à consommer qu’environ 40% des fonds reçus. Aujourd’hui, ces aides doivent permettre à une Italie à la croissance atone de déployer des investissements importants avec plusieurs priorités déjà définies, allant de la transition écologique, au numérique, au soutien à l’éducation et la recherche, mais également à la cohésion sociale et territoriale, et à la santé