La visite que le prince héritier d’Abou Dabi a effectuée le 24 novembre dernier à Ankara est la dernière manifestation – très significative – du réaménagement en cours de la diplomatie émirienne.
En effet, Mohamed Ben Zayed (MBS) a tiré les conséquences de plusieurs évolutions de la situation régionale et internationale :
- Des relations plus fraîches avec l’administration Biden – qui a notamment critiqué l’action émirienne au Yémen et en Libye – alors que le prince avait beaucoup misé sur sa relation privilégiée avec le président Trump.
- Le désengagement progressif des Etats-Unis du Moyen-Orient, dont le départ précipité d’Afghanistan a confirmé les craintes des alliés de Washington dans la région.
- La normalisation au début de l’année entre les pays du Golfe, qui a mis fin à l’embargo imposé au Qatar et a conduit à un rapprochement entre Riyad et Doha.
- Des divergences croissantes avec l’Arabie Saoudite sur le Yémen, la politique pétrolière, la normalisation avec Israël et avec le régime de Damas. En outre, même si les deux pays demeurent des alliés stratégiques, l’Arabie n’hésite plus à concurrencer les EAU sur les plans économiques, touristiques et culturels.
- Les échecs militaires relatifs de la « Sparte du Moyen-Orient » au Yémen et en Libye.
Face à cette nouvelle donne, Abou Dabi a pris un certain nombre de mesures qui vont dans le sens d’une diversification des relations de la Fédération avec le monde extérieur :
- Normalisation avec Israël et développement des relations économiques et sécuritaires bilatérales.
- Concertation renforcée avec la Russie, à propos de la Syrie notamment.
- Accroissement de la coopération économique et technologique avec la Chine.
- Dialogue avec l’Iran pour éviter des frictions dans le Golfe.
- Détente avec la Turquie, en dépit des divergences sur la question de l’Islam politique.
- Accent mis sur la diplomatie économique, en multipliant et diversifiant les partenariats économiques.
En somme, MBZ prend en compte et contribue à une recomposition géopolitique au Moyen-Orient : les Etats-Unis ont des priorités ailleurs ; la Russie s’est réengagée dans la région ; la Chine offre d’importantes opportunités de coopération ; la Turquie – qui connaît des difficultés économiques – est prête à améliorer ses relations avec l’Egypte, l’Arabie Saoudite et les EAU : Israël est la première puissance militaire et technologique de la région ; l’Arabie Saoudite commence à concurrencer les EAU sur ses terrains privilégiés (centre commercial et financier, tourisme et culture).
Dans ces conditions, Abou Dabi ne doit plus dépendre quasi-exclusivement de sa relation privilégiée avec les Etats-Unis et peut prendre des initiatives propres pour contribuer à l’apaisement des tensions au Moyen-Orient (y compris par le dialogue avec Téhéran).
En même temps, l’émergence de la Chine, le rôle de la Russie dans le domaine des hydrocarbures, les opportunités d’investissement offertes par les situations économiques difficiles de la Turquie et de la Syrie – voire de l’Iran – prêchent pour une diversification des partenaires économiques de la Fédération.
En d’autres termes, MBZ est en train d’adapter pragmatiquement la diplomatie de son pays à la nouvelle donne régionale et internationale, afin d’apaiser les tensions et de faire profiter son pays de toutes les opportunités qui se présentent.
Les Européens doivent être conscients de ces évolutions et agir de concert avec les EAU pour contribuer à la stabilisation du Moyen-Orient et préserver leurs intérêts – très importants – dans ce pays actif et résolument tourné vers la modernité.
A ce titre, la prochaine visite du président de la République dans la région sera un signe apprécié de l’engagement résolu de la France aux côtés des pays du Golfe.