A Berlin, lorsque le nouveau chancelier Olaf Scholz joue l’alliance avec Paris pour mieux affronter les défis qui l’attendent
Dans le sérail politique allemand, l’étonnement que suscite l’élection d’Olaf Scholz s’apparente à celui de cet « Homme qui rit » du roman philosophique éponyme de Victor Hugo. Ce jeune Lord, peu considéré, enlevé sur ordre d’un roi, se transforme en saltimbanque, avant de, rétabli dans ses droits, se hisser au rang de pair d’Angleterre.
La question européenne pour notre « homme qui rit » – alias Olaf Scholz – n’en sera pas moins névralgique.
A quelques semaines d’une présidence française de l’Union européenne, Bruno Le Maire et Christian Lindner, ministres français et allemand des Finances, se promettent mutuellement des échanges constructifs. Mais pourront-ils réellement résoudre les divergences actuelles quant aux niveaux respectifs de dette des pays membres de la zone euro ?
L’animateur de ce débat sera le ministre des Finances français, sous l’autorité du président de la République. Conduire cette négociation globale et sensible est un atout indéniable. Et cela dans un contexte où, vu de Berlin, l’essentiel devrait consister à trouver les bons étiages entre, d’une part la réduction de l’endettement des Etats et d’autre part le financement des secteurs d’avenir que sont les nouvelles technologies et la transition écologique. Peu compétent sur ces thématiques communautaires, le ministre allemand Christian Lindner n’a cependant rien négligé en vue de tenir son rang. Ainsi, il a convoqué à ses côtés l’un des meilleurs experts allemands de ces marathons épisodiques de remises en regard des comptes européens, l’eurocrate allemand émérite Carsten Pillah.
De source sûre, il s’avère que, si Olaf Scholz s’est évertué à boucler en moins de deux mois son pacte de gouvernement domestique, c’est, entre autres, pour ne pas ralentir les déclics calendaires des avancées européennes. En effet, Paris et Berlin avaient estimé devoir harmoniser leurs agendas afin d’atteindre un point de convergence germano-latin que le président français et le chancelier allemand jugent essentiel.
Nous sommes ainsi aux antipodes du climat qui, en 2017, avait porté la chancelière Angela Merkel. Cette dernière était à l’époque débordée par les tirades pro-européennes et très ambitieuses du président Emmanuel Macron. Elle lui avait alors, comme elle aurait pu le faire pour un admirateur trop entreprenant, battu froid – expression qui se dit « kalte Schulte zeigen » en allemand soit « froide épaule ».
Rien de comparable aujourd’hui, dans la mesure où, à Berlin, l’actuelle ligne politique liant les quatre partenaires d’une coalition politique rouge (sociale-démocrate) / verte (écologiste) et jaune (libéraux) initiée par Olaf Scholz n’est jamais que le copier-coller des visées européistes préconisées il y a sept ans par le président français. Outre le pragmatisme naturel d’essence sociale-démocrate du chancelier Scholz, peut s’ajouter à ce copier-coller le reniement progressif des utopies gauchistes du 1968 allemand et la propre mue politique personnelle de cet ancien « jeune socialiste ». Olaf Scholz a, en effet, été classé apparatchik et embrigadé au sein de cette ligue, dite « Stamokap » – comprendre Staatsmonopolistischer Kapitalismus, ou capitalisme monopoliste d’État dans le jargon de l’époque – avant de trouver sa voie au sein de la social-démocratie des chanceliers Willy Brandt, Helmut Schmidt et Gerhard Schroeder. Ce dernier l’avait d’ailleurs nommé secrétaire général du SPD, puis ministre du Travail chargé du relèvement, alors controversé en Allemagne, de l’âge de la retraite à 67 ans.
Lors de sa récente visite à Paris, Olaf Scholz a tenu à souligner le caractère essentiel de la relation franco-allemande. Sa culture de grand nordique peu disert est d’ailleurs en passe de découvrir avec l’hexagone français une latinité gaullienne dont il ignorait beaucoup d’aspects il y a peu. Lors de la présidence européenne allemande (second semestre de 2020), un processus de rapprochement avait déjà eu lieu, facilité par la négociation d’un plan de relance économique de 750 milliards d’euros supervisé par Angela Merkel. Un moment privilégié au cours duquel une complicité amicale s’était instaurée entre Olaf Scholz, alors ministre des Finances, et Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances français, féru de la langue de Goethe.
Pour les ténors de la presse politique allemande, il reste au nouveau chancelier à éprouver et manifester sa réactivité lors d’épreuves imprévisibles et de crises comme ses prédécesseurs ont dû le faire avant lui. Par exemple, en 1962, Helmut Schmidt avait su juguler avec brio l’« onde de tempête » terrifiante, ce qui lui avait valu d’être perçu par ses compatriotes comme la « vaillance personnifiée ». Il avait également su apaiser, en 1977, les jeunes terroristes de la Fraction armée rouge, qui étaient en symbiose violente avec les tenants d’un terrorisme proche-oriental alors palestinien.
Le palmarès du tout nouveau chancelier n’a rien de comparable. Au contraire, Scholz fit preuve d’incapacité lorsqu’il fallut, en 2017, juguler l’invasion d’enragés altermondialistes qui entendaient, au lendemain d’une session du G20, saccager la ville de Hambourg dont il était alors maire. Ce fut un désastre dont le bilan, dressé par la police, est de plus de 500 policiers blessés par 7 000 émeutiers.
De cette épreuve, Olaf Scholz a retenu que rien ne doit être négligé en cas de crises. Et surtout, qu’il faut gérer au mieux la coopération étroite, donc sujette à des conflits de compétences, entre l’État fédéral central et les 16 régions fédérales afférentes allemandes, c’est le cas pour l’actuelle pandémie. Ainsi, le rééquilibrage de la relation Bund / Länder est devenu pour Scholz l’une des problématiques centrales des sept prochaines années.
L’explosion des cas de Covid depuis la mi-octobre ne laisse donc aucun répit au chancelier. 75 000 nouveaux cas de Covid ont encore été recensés dans le pays, alors même que le nombre de morts continue de croître au rythme de quatre cents décès par jour.
Sur le registre de la vaccination, en passe de devenir obligatoire, l’Allemagne n’est plus le bon élève de l’Europe. L’opinion a évolué et, là où 64% des Allemands s’y opposaient encore en juillet, ils sont désormais 69% à la soutenir, ce qui a amené le chancelier à un franc rétropédalage sur cet espace verglacé.
D’évidence, Scholz semble aussi faire cas de ces inhibitions héritées du Nazisme ou autres modes de gestion idéologique de l’ex-RDA, bien moins cependant qu’Angela Merkel, très prudente sur ces terrains. En effet, cette dernière a systématiquement veillé à ne pas mettre le feu aux poutres. Cela offre alors au nouveau chancelier de Berlin, l’opportunité de prendre l’exact contre-pied de la chancelière sortante alors même que les résistances à la vaccination persistent. Ceci malgré la mise en place, depuis le samedi 4 décembre et dans un pays où 68 % des 83 % d’Allemands se sont déjà vaccinés, de mesures s’apparentant à un semi-confinement larvé. Cela a ainsi permis à Olaf Scholz, subitement démonstratif et autoritaire, de soumettre au Bundestag une proposition de loi visant à bientôt rendre le vaccin obligatoire, sur fond d’interdiction d’accès aux commerces non-essentiels, tels que les restaurants, les lieux de culture ou les lieux de loisirs pour les non-vaccinés.
En outre, il faut également évoquer l’aubaine actuelle de quarante entreprises boursières du DAX allemand. En dépit des retards de livraisons, des manques de matériel électronique et autres matières premières dont souffrent les opérateurs précités, l’essentiel réside dans les 120 milliards d’Euros de gains nets qu’elles auront encaissés cette année. Les meilleurs d’entre elles, Airbus, BASF, Covestro, Allianz, etc. ont pu verser globalement 4,5 milliards de dividendes à leurs actionnaires. Une confirmation de la théorie voulant que, selon l’Américain Alfred Rappaport, « ce ne serait plus un homme qui travaillerait, mais son argent. ». Cela a déjà été assimilé par certains industriels allemands comme me l’expliquait un jour le producteur d’acier Otto Wolff von Ammerrongen, « il se ressentait surtout aux ordres du marché ».